Conférence à IAM Mars 2011
Thème : Les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, Une solution à la crise.
Sous thème : LES ENSEIGNEMENTS DE CHEIKH AHMADOU BAMBA
Par Cheikh Abdoul Ahad Mbacké gaïndé Fatma

Au nom de Dieu, le clément et le Miséricordieux
Introduction
Au moment où le monde entier, confronté à des crises multiformes, cherche des voies de salut, il nous semble nécessaire de revisiter les enseignements de cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme, ces enseignements qui sont à même d’apporter aux problèmes de l’humanité des solutions tout- à- fait originales.
Pour faire un bref exposé d’une partie des valeurs enseignées par le Cheikh, nous évoquons d’abord sa mission pacifique de revivification de la tradition prophétique avant d’aborder quelques principes fondateurs de la mouridyya tirés de ses écrits et pratiques.
Lutte pacifique et vivification de la tradition prophétique :
Cheikh Ahmadou Bamba s’est évertué toute sa vie durant à suivre les traces de Seydina Mouhamed (PSL) : « Ma ferme ambition est de vivifier la Sunna ô combien pure du Prophète Elu ». La foi en bandoulière, il endurait les épreuves, aussi dures les une que les autres, pour le triomphe de l’islam.
« Vous m’avez fait sortir de ma demeure au motif que je suis l’adorateur de Dieu et que je mène le Jihâd.
Vous avez prétendu qu’il ya des armes chez nous et que chacun d’entre vous nourrit haine et jalousie.
Vous dites la vérité car je suis son adorateur, et le serviteur de l’adorateur de Dieu Lui qui rend grâce ;
c’est aussi vrai si vous dites que je mène la guerre, car pour l’amour de Dieu, le Majestueux, je mène le jihad.
Moi je mène la guerre sainte par les sciences et la piété étant un adorateur de Dieu au service du Prophète et le Maître Absolu en est témoin ».
C’est en ces termes que le Cheikh s’adressait aux colonisateurs. Il leur opposait cette résistance pacifique par la seule arme de sa piété et de sa plume. Le témoignage élogieux de Cheikh Sidya Baba en est une parfaite illustration :
« Face aux épreuves, il se remet toujours à son seigneur,
conscient que celles-ci procède de sa Décision ».
La victoire de Serigne Touba n’en est que plus éclatante face à l’armada militaire et stratégique des colonisateurs. Il a accompli sa mission de propagation des valeurs islamiques par le biais d’éducateurs qu’il a lui-même formés. Pendant que le colonisateur s’acharnait sur sa personne, ses valeureux lieutenants prenaient en charge la formation des talibés dans les daaras où l’on alliait éducation, instruction et travail. De nombreux villages, à l’abri, des tentations urbaines furent créés à cet effet. Il s’opposait de cette manière au projet d’aliénation culturelle colonialiste. Il montrait l’exemple par sa conduite :
« J’ai fondé mon action sur la conformité au Coran, à la Sunna du Prophète et au Consensus des ouléma.
Je me suis entièrement orienté vers dieu par le biais du Prophète et de sa Sunna».
Sa personnalité exceptionnelle et son charisme lui permettaient d’inculquer toutes les valeurs positives qui font la force du mouridisme aux talibés.
Noblesse de caractère :
«Tu es certes d’un caractère noble» ainsi Dieu s’adresse-t-Il au prophète Mouhamed « PSL » dans le Coran. Cheikh Ahmadou Bamba vivificateur de la tradition prophétique ne pouvait donc qu’incarnait cette noblesse de caractère. Serigne Touba est en effet une école de foi, de piété et d’endurance. Il était un Educateur hors pair, « tu éduques comme le faisait le prophète, sans nulle différence ; tu n’as assurément point d’égal dans cette génération » (Cheikh Sidya Baba). Il avait une grande considération pour l’éducation, tous les villages créés par les dignitaires sur son instruction étaient en fait des daaras. De la science il disait qu’elle conduit l’homme vers la sagesse ou vers une profonde perdition. De là il fait la différence entre la science utile et celle qui l’est moins. C’est pour écrire que la science véritable est celle qui « donne à l’homme les bonnes qualités morales, intellectuelles et spirituelles, incite à aimer la vérité, la réflexion, la bonté et la générosité ».Il poursuit en fustigeant la science qui permet de tenir ses semblables en servitude, remplit le cœur de jalousie et de rancune, incite à la haine, à la dispute et pousse à l’égoïsme. Le Cheikh fait ainsi le pari d’une science émancipatrice qui place l’homme au centre de ses préoccupations pour la satisfaction de ses besoins et son équilibre spirituel et moral.
Mais pour ce faire l’acquisition du savoir doit déboucher sur la pratique d’activités et cultuelles et génératrices de revenus. C’est la raison pour laquelle Serigne Touba a perçu très tôt l’importance du travail libérateur et l’autonomie qu’il procure. Il prône comme à son habitude l’équilibre et le juste milieu :
« l’abandon des activités utiles sous prétexte de s’abandonner à Allah tout en regardant les créatures d’un œil envieux est le comportement des sots ».
Il poursuit en écrivant
« saches que l’abandon à Allah n’exclut pas le Kasb ; le meilleur comportement est de les allier bien qu’il y’ait en cela une apparente contradiction »
La porte est ainsi ouverte aux disciples pour aller travailler parce que le Cheikh est conscient qu’« Allah a établi un rapport de cause à effet entre nos actions et les conséquences qui en découlent » mais il l’avertit aussitôt des conditions :
« l’alliance des deux doit se réaliser dans un cœur détaché des choses de ce monde. Soumets-toi intérieurement à la Volonté d’Allah pour réaliser l’abandon ».
Le travail peut se faire dès lors pour les bonnes actions, il devient ainsi un moyen et non une finalité pour la recherche effrénée du profit accumulateur. Le travail est ainsi une obligation dans l’Islam et constitue le troisième pilier du Mouridisme après le savoir et le culte au sens large du terme.
Cependant, le travail prôné par le Cheikh doit être conforme aux normes et préceptes de l’Islam. D’après lui, le travailleur doit mener des activités saines, licites et dans les conditions qui garantissent une meilleure transparence (Khadîm Sylla, …).
Le Prophète (PSL) dit ceci dans un célèbre Hadîth: « Ce qui est licite est clairement connu, et ce qui est illicite l’est aussi. Entre les deux, il y a des choses douteuses dont beaucoup de gens ne connaissent pas le statut. Quiconque s’éloigne de ces choses douteuses épargne certainement sa religion et sa réputation; et quiconque tombe dans les choses douteuses tombe dans l’illicite. C’est comme un berger qui traîne avec son troupeau autour des limites d’un champ protégé: il risque facilement d’y pénétrer» .
Cheikh Ahmadou Bamba réaffirme cela en ces termes: Chercher le licite est un devoir pour tout musulman, sans aucun doute…., «Je recommande à chacun de vous de faire tout ce qui est possible afin d’assurer les nécessités de sa vie individuelle et de la vie communautaire, car pour que l’homme vive dans la liberté, l’indépendance et la dignité, il lui faut assurer la satisfaction de ses besoins matériels dans la vie (autosuffisance financière)».
Les talibés avaient à partir de ce moment la possibilité de financer les travaux d’intérêt général, la mosquée de Diourbel puis la grande mosquée de Touba par exemple. En instituant les contributions volontaires, le Cheikh s’adressait aux fidèles en ses termes : « Aimer le travail car il procure l’indépendance et la dignité. Financez vous-mêmes vos projets parce que les financements externes sont toujours conditionnés et ceux qui vous conditionneraient, pourraient ne pas avoir les mêmes objectifs que vous ».
Le Cheikh introduisait de cette manière un autre pilier important de la Mouridya : le Khidma, le service désintéressé au profit de la communauté pour une solidarité agissante. Selon le Docteur Khadim Sylla (…), les contributions reçues des mourides de l’extérieur par le défunt khalif général le vénéré Serigne Saliou sont estimés à 300 millions de Francs CFA par an. Les enquêtes de terrain qu’il a mené ont permis de recenser quinze dâhiras dont le versement annuel entre 1995 et 1997 s’est élevé à 56 millions de Francs CFA en Espagne. En France, les 20 dâhiras ont collecté en une année 28 millions environ; en Italie, 36 dâhiras ont totalisé 142 millions. En Allemagne, la fédération des dâhiras a collecté 15 millions en une année et entre 18 et 20 millions de Francs CFA aux Etats-Unis d’Amérique.
Une autre forme de contribution des immigrés concerne des actions menées à travers des associations comme « Mathlabul Fawzaïni» (construction de l’hôpital Mathlabul fawzaïni de Touba pour un coût de sept millards ) ou la fédération de Toscane en Italie (modernisation de la ville de Touba : électrification, construction de morgue et pédiatrie,…).
Pour magnifier ce principe de Khidma et donner son importance dans l’Islam, Serigne Touba écrit :
« Rends donc tes précieux services à tous pour l’amour d’Allah exclusivement sans relâche ni mot déplaisant. Quiconque te rend visite pour solliciter tes biens comble le de faveurs et de bonté si tu le peux. Ne thésaurise jamais ta fortune par crainte de pauvreté car c’est Allah qui t’a offert cette richesse ».
Serigne Touba jette ainsi les bases d’une société solidaire où règnent l’entre-aide, la solidarité et la justice sans aucune discrimination : « la discrimination est interdite dans l’attribution de l’aumône et quand un être le donne Allah le préserve de tout mal » écrit-il. Ce principe de Khidma n’exclut aucune forme d’aide, y compris au niveau des états et des ONG pour le travail humanitaire. Il n’est pas seulement financier mais concerne toutes les formes de solidarité et de volontariat : le savoir et la connaissance, la puissance financière et la force physique, l’investissement pour la paix et la concorde, aucun domaine n’y échappe.
Conscient des vicissitudes et des difficultés inhérentes à la vie, Serigne Touba ne cesse de rappeler au fidèle ce qui fera son bonheur : le détachement et le détournement de ce bas monde. Ce principe du Zuhd lui garantit la félicité. « Le véritable ascétisme est de ne jamais viser dans son cœur le bas monde et cela pour la face de Dieu. N’éprouve ni joie ni chagrin pour l’obtention ou la perte d’un bien mondain ». Il montre ainsi qu’à ses yeux le détachement doit se faire au niveau du cœur et non des actes ; c’est pourquoi il nous enseigne que « si le riche est reconnaissant envers Allah, il est au dessus du pauvre qui se résigne ». Il appelle alors le fidèle à être reconnaissant dans la joie et persévérant et patient dans la difficulté. Dieu est le Maître du monde et tout est de son ressort et lui-même dit dans le Coran: « certes Je suis avec les patients ».
Ainsi détourné dans son cœur des biens de ce monde, l’homme est enclin au respect de la hiérarchie, de l’ordre et de la discipline. Ces caractéristiques sont les garantes d’une société stable, structurée et organisée. elles constituent les principales forces de la Mouridya. Ce sont les valeurs qui permettent la mobilisation des fidèles pour le développement de la communauté. Chaque membre est à sa place et les paroles du Cheikh veillent au grain pour une bonne régulation : « traite les jeunes comme le feraient leurs parents, respecte les plus âgés et traite tes semblables comme ta propre personne ». La stabilité, l’entente et la concorde sont à ce prix.
Par ailleurs la noblesse de caractère du Cheikh lui a permis de s’élever au dessus des contingences et de pardonner :
« j’ai pardonné à mes ennemis pour l’amour Dieu qui les a dirigés vers autre que moi, je ne riposte jamais. Ô détenteur du royaume, Toi qui es au dessus de toute vengeance, sois miséricordieux envers toute l’humanité, Toi qui guide le mauvais ».
Il donne ainsi une très belle leçon non pas de tolérance qui appelle un dépassement de soi pour supporter l’autre avec tout ce que cela implique de souffrance, de condescendance voire de mépris, mais de respect. Car au-delà de chaque personne il regarde « les droits du créateurs en lui » selon ses propres termes
Cet apôtre de la paix et de la non violence a passé toute sa vie durant à œuvrer pour l’union des musulmans conformément à la parole divine : « les croyants sont des frères. Et établissez la concorde entre vos frères, et craignez Allah afin qu’on vous fasse miséricorde (S49,V10). « que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront » (S3, V104). « Et ne soyez pas comme ceux qui se sont divisés et se sont mis à se disputer, après que les preuves leur furent venues, et ceux-là auront un énorme châtiment ( S3,V105).
A l’heure des grands ensembles, ce message d’unité peut servir de fer de lance pour l’éclatement des frontières et la mise en place d’entités viables porteuses de lendemains meilleurs.
Il a par ailleurs contribué à décomplexer (audace) l’homme noir bien avant d’autres. Très jeune il écrivait dans Massalik Al Jinane :
« l’homme le plus estimé auprès de Dieu, est celui qui le craint le plus, sans discrimination aucune. La couleur de la peau ne saurait être cause de l’idiotie d’un homme ou de sa mauvaise compréhension. Alors ne sois pas abusé par ma condition d’homme noir pour ne pas profiter de ma science».
Serigne Touba incarnait toutes ces valeurs au plus haut point. Il a fait preuve d’un courage légendaire en affrontant tout seul l’armée coloniale. Il disait lui-même :
«Toutes les épreuves que mon corps peut endurer, mon courage me permettra de les affronter ».
Le troisième khalif général des mourides, Cheikh Abdoul Ahad, ne s’y est pas trompé quand il déclarait « lorsque Serigne Touba travaillait et priait au moment des épreuves, personne n’était à ses côtés pour dire Amen ». Par ce sacrifice il a permis à ses disciples de consacrer toutes leurs énergies à la quête du savoir, de l’adoration et du travail.
Ces derniers ont gardé intact ce culte du travail et ont continué à financer les grands travaux de la communauté. Les mourides contrôlent aujourd’hui une bonne partie de l’économie nationale et réussissent un peu partout dans le monde. Ils restent attachés à leur terroir faisant ainsi preuve d’un patriotisme certain et donnent un coup de fouet à l’économie locale et nationale. Grâce aux sommes d’argent envoyées par les travailleurs émigrés, des investissements relativement importants ont été faits dans les domaines de l’immobilier, du textile, de l’alimentation. Notons aussi que le regroupement familial est presque inexistant chez les émigrés mouride, car près de 90% d’entre eux qui vivent à l’étranger ont laissé leurs familles au bercail. Aujourd’hui on estime que plus de 15 000 familles d’émigrés sont établies à Touba et les frais de nourriture de chacune de ces familles sont évalués entre 125 000 et 150 000 francs CFA par mois.
On peut donc estimer, à juste titre, que près de deux milliards de francs CFA au total sont envoyés tous les mois à Touba par eux rien que pour la nourriture de leurs familles; à cela s’ajoutent les importantes sommes consacrées aux différents événements religieux et traditionnels, tels que les mariages, le Magal et les baptêmes, pour ne citer que ces exemples.
Les dépenses relatives au Magal annuel qui concerne plus de quatre millions de pèlerins équivalent à deux mois de dépenses alimentaires pour chaque famille; elles sont destinées à la consommation des visiteurs pris en charge par les habitants de Touba durant trois jours au moins.
Les enseignements du Cheikh ont beaucoup contribué à cette réussite dans des pays aux économies concurrentielles et dans des secteurs à forte valeur ajoutée.
Nous pensons que nous avons là un levier très fort à la disposition de nos décideurs pour le développement du pays. C’est un exemple à vulgariser et à méditer pour notre jeunesse en quête de repères. Ce qui est d’autant plus souhaitable que Serigne Touba est un patrimoine commun qui a travaillé et prié pour toute l’humanité :
« le motif de mon départ en exil est la volonté de Dieu d’élever mon rang et de faire de moi l’intercesseur des miens et le serviteur du Prophète ».
Pour résumer nous dirons que les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba offrent des mécanismes de sortie de crise forts intéressants. Il a réussi à mettre sur pied une communauté religieuse soufi harmonieuse, travailleuse, tournée vers le développement et dont le fonctionnement est articulé autour de principes fondateurs forts et bien assimilés. Ces concepts sont :
- Le Zuhd qui consiste à détourner son cœur du bas monde et à ne pas se faire obnubiler par les richesses éphémères car la vie future « est meilleure et éternelle » comme nous l’enseigne le saint coran.
- Le Tawakoul est la croyance selon laquelle Dieu est à la base de tout et tout dépend de lui mais la notion de cause à effet nous impose le Kasbu d’où l’obligation d’allier abandon à Dieu et recherche du licite.
- Le Khidma est d’œuvrer de manière désintéressée au service de la communauté, ce qui constitue le fondement de la solidarité.
- L’importance de l’éducation émancipatrice pour élever la personne et lui permettre de faire face à toutes ses obligations
- Le pardon et le respect qui vont au delà de la tolérance habituelle pour permettre une commune vie heureuse.
- La non violence, la discipline et l’union garantes d’une société équilibrée, organisée et stable pour un développement durable.
CONCLUSION
En somme, nous avons une grande responsabilité dans la vulgarisation et la propagation de ses enseignements dont l’humanité toute entière a un réel besoin. Mais l’engagement d’une jeunesse enthousiaste, intellectuelle et travailleuse nous rend confiants que dans un avenir proche, le monde portera à ces enseignements l’intérêt qu’il mérite


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