S.Abdoulaye Niang Né en 1927, le chanteur mouride Abdoulaye Niang a marqué son temps. De Diourbel, sa région natale, à Saint-Louis, où se passe son actualité, l’homme a eu un vécu bien empli. Son aube flamboyante de 1943, s’est flétrie au soir d’une journée de 1990. Une maladie faucha la voix de ‘Stentor’. Alors que ses tubes sont toujours bien écoutés, le chanteur s’est rangé dans son logis, sis au quartier Pikine à Saint-Louis. Il n’y est pas mal connu. Un arrêt qui porte son nom (tableau Abdoulaye Niang : Ndlr), indique facilement sa demeure. Le vieux Niang ouvre l’agenda de sa vie et livre des souvenirs qui tantôt lui donnent un air triste… tantôt lui font verser dans un fou rire.
Vendredi 11 Novembre 2011
Ce qui accrochait en lui, c’était sa voix, à la fois veloutée et imposante, qui rapportait, scrupuleusement, les écrits de Serigne Touba Khadimou Rassoul. Ses chants limpides, puissants, audacieux et rythmiques ont tant de fois tenu en haleine son public. Abdoulaye Niang a valu son pesant d’or. Durant un demi-siècle, la voix envoûtante du chanteur de khassaïdes (les écrits du guide mouride, Serigne Touba : Ndlr) a oscillé d’une rencontre religieuse à une autre. Aujourd’hui, les esprits l’ont presque oubliée. Loin de sa vie d’antan, Abdoulaye Niang évolue maintenant dans une totale discrétion. C’est dans le quartier de Pikine que se trouve sa grande demeure. Le chanteur passe ses journées chez lui s’il ne se rend pas à Touba. Ce polygame, à quatre épouses, vit avec sa quatrième femme dans ce domicile, avec quelques-uns de ses enfants. D’autres gamins sont sous sa responsabilité pour des besoins de l’apprentissage des Khassaïdes. Serigne Fallou Mbacké, Serigne Mbacké Sokhna Lo, Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh, etc., sont parmi les nombreuses images de guides religieux qui ornent les murs de sa chambre.
Et sur une de ces multiples photos, il montre tout son tonus. Une vitalité qui l’a aujourd’hui abandonné. Ses 84 bougies lui ont volé tout son entrain des années d’avant. Sans compter sa profession de maçon qui a rongé toutes ses forces. Abdoulaye Niang a été, pendant cinq ans (de 1949 à 1954) ouvrier des travaux publics puis à la Société nationale des eaux du Sénégal avant de créer sa propre entreprise de bâtiment et de ferraille. Avec un teint un peu clair et une taille moyenne, le vieil homme porte une barbe banche. Assis au milieu de son lit, il accepte volontiers de regarder sur le rétroviseur de sa vie. Il ne dispose pas, toutefois, de tous ses souvenirs. Son esprit le lâche, souvent. Mais, Ndioba Sène, sa quatrième femme, l’épaule de temps à autre dans sa quête de repères.
Une carrière lancée lors du premier Magal de Touba…
Tout a commencé en 1932, lorsque son père, Mor Absa Niang, l’inscrit à l’école coranique de Moukhsine Diop. Il avait alors cinq ans. Après dix années passées auprès de ce maître coranique, il change d’école et va chez Tahirou Dièye, à Saint-Louis. C’est là-bas qu’il apprit les khassaïdes. ‘On apprenait les khassaïdes chaque jour après la prière de Takoussan (c’est la prière de 17heures)’, explique-t-il de sa voix tremblotante, hésitante et cassée. L’homme arrive à peine à se faire entendre.
Avec son groupe, Abdoulaye Niang avait la charge d’accueillir tous les hôtes mourides qui venaient à Saint-Louis. ‘C’est à la gare ferroviaire qu’on allait les attendre en chantant les khassaïdes’, révèle le chanteur. Un boulot auquel il fit montre d’un dévouement sans faille. Ce qui lui a valu une participation au Magal de Touba de 1943. Cette première édition lui permet de montrer ses talents de chanteur. Il se souvient : ‘Serigne Modou Moustapha Mbacké qui était le Khalife nous avait remis 1 500 francs en guise de récompense pour notre participation à la cérémonie religieuse’. Ainsi débute sa carrière. Après avoir acquis une solide expérience dans le domaine, Abdoulaye Niang crée sa propre troupe avec ses proches. Un groupe qu’il fait découvrir, par monts et par vaux, sur le national et même sur l’international. ‘J’ai fait toutes les régions du Sénégal à l’exception de Ziguinchor. Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller là-bas’, regrette-t-il. Ses chansons étaient sollicitées partout. Petit à petit, le chanteur monte au pinacle. Il décompte environs 160 rencontres religieuses par an. La Côte d’Ivoire, la France, entre autres pays étrangers, ont à maintes reprises fait appel à ses services.
… et freinée par une maladie
Après avoir blanchi sous le harnais, le fils de Khady Aïssa Dieng se heurte à une retraite forcée. En 1990, la maladie surgit spontanément. Elle mit fin à près d’un demi-siècle de carrière musicale. La roue a tourné lors de la cérémonie de réception après un séjour à la Mecque du mari de la chanteuse Kiné Lam. ‘C’est après avoir accompli ma mission que j’ai senti que mes cordes vocales ne répondaient plus’, se rappelle Abdoulaye Niang, la mine un peu marrie. L’as perd du coup son rang pour se consacrer entièrement au recouvrement d’une santé meilleure. C’est feu Serigne Mbacké Sokhna Lô qui prend en charge tous les frais médicaux. Cette maladie, le vieux Abdoulaye Niang l’avait rangée dans le registre du destin, pendant que d’autres lui faisaient croire à un … maraboutage. Il pensait que c’est la multitude de chants livrés par an qui avaient fatigué sa voix. ‘J’ai exercé le métier pendant vingt ans avant que je ne puisse bénéficier de l’aide d’un haut-parleur’, dit-il. Ou encore ses milliers de déplacements qu’il a eu à effectuer à travers le monde. ‘Je pouvais enchaîner trois nuits de chants religieux sans dormir’, révèle le chanteur. Pour lui, les explications sont bien multiples. Mais aucune ne défend la thèse du coup de l’envoûtement. ‘J’ai toujours refusé que l’on mette dans ma tête ces croyances’. La maladie ne l’a toutefois pas désorienté des khassaïdes qu’il continue, toutefois, à apprendre.
Le miracle de la guérison
Le traitement suivi en France est resté vain. Les médecins n’ont détecté aucune anomalie dans sa gorge. Abdoulaye Niang était donc resté plus de six mois sans faire entendre le son de sa voix. C’est pendant son absence du pays qu’il est déclaré mort. ‘On m’avait confondu avec un autre Abdoulaye Niang qui était aussi en France pour se faire soigner’. Ce ne fut, cependant pas, l’unique annonce de décès pour lui. ‘Cela s’est répété à cinq reprises’, déclare-t-il, tout souriant. La dernière en date remonte à deux ans. C’était lors d’un Magal des deux Rakkas à Saint-Louis.
Le chanteur rentre au bercail, traînant toujours sa maladie. Un jour, Sokhna Maïmouna Mbacké, fille cadette de Serigne Touba, lui demande de chanter pour elle. Le miracle surgit, d’un coup. Ses cordes vocales reprirent fonction. Le chanteur reprend alors du poil de la bête. ‘C’était comme si je n’ai jamais été malade. Tout le monde était ébahi’, se rappelle-t-il.
Malgré son talent, Abdoulaye Niang n’est jamais entré dans un studio. Pourtant, ses disques sont bien vendus sur le marché musical sur les enregistrements faits lors des cérémonies de chants religieux. Un fait auquel il ne s’est jamais abstenu. ‘Je n’ai jamais interdit à un vendeur de faire du commerce avec mes œuvres. Un jour, un producteur m’a approché pour que je fasse des enregistrements pour lui. Je n’ai pas eu confiance. Je craignais qu’après un accord qu’il monopolise mes chansons’, explique-t-il. Abdoulaye Niang n’a jamais non plus demandé à être rémunéré après ses prestations. Mais ce boulot l’avait bien enrichi. Les récompenses sont de diverses natures. ‘Il m’arrivait de renter chez moi avec des sommes intéressantes. Un jour on m’a donné plus de 400 000 francs’. Des billets pour la Mecque, des maisons et même…. des femmes lui étaient offerts au cours de ses nombreuses prestations. ‘On m’a offert 17 fois des femmes. Mais j’ai toujours refusé’. Ses œuvres n’étaient pas uniquement appréciées par ses pairs mourides. Les guides d’autres confréries aimaient, également, beaucoup sa musique. ‘Serigne Abdoul Aziz Sy m’a offert deux boubous. Serigne Abdoulaye Thiaw Laye m’appréciait beaucoup également’, dit-il.
Un héritage assuré pour ses enfants
Pour que son travail ne reste pas vain, le vieux Abdoulaye Niang a transmis les rudiments du métier à ses enfants. Ndèye Fatou Niang, Mamadou Niang, et pour ne citer que ceux-là, assurent la relève. C’est en 1984 lors d’un magal de Touba qu’elle a voulu suivre les traces de son père. ‘Ce n’était alors pas une voie pour la gente féminine’, reconnaît-t-elle. ‘Mon père avait monté un Dahira. Il nous apprenait les Khassaïdes. Et pour plus nous motiver, il donnait des habits, des montres… en guise de récompenses à ceux qui maîtrisaient le mieux les khassaïdes’, soutient-elle. Cette stratégie a porté ses fruits puisque la jeune femme s’est aguerrie. Ndèye Fatou Niang a mis sur le marché sa première production Yobalou Magalgui, sorti au magal 2011. Il est composé de six morceaux dont la plupart sont des tubes repris à son père. Aujourd’hui, le rêve de la dame est de percer dans le milieu et suivre les pas de son géniteur. Mais les moyens constituent un véritable casse-tête. Pour plus de visibilité, la chanteuse a déjà effectué le tournage d’un clip titré Olafalou Serigne Fallou à Saint-Louis. Mais, l’absence de fonds retarde sa diffusion sur les différents supports médiatiques.
Aïda Coumba DIOP
source: ndarinfo.com
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