Collectif Sibyân al- murîdîn CESAG





LA DOCTRINE DU TRAVAIL
SELON LES ENSEIGNEMENTS DE CHEIKH AHMADOU BAMBA
COMME SOLUTION  A LA CRISE  ECONOMIQUE





Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud




Dakar, CESAG, le 11 juin 2011

INTRODUCTION
Un peu partout dans le monde, une crise économique hante le sommeil à la fois des dirigeants et des populations. N’étant pas habilité à élucider                    les facteurs de cette crise, nous pensons être en mesure de présenter                    la doctrine du travail chez Cheikh Ahmadou Bamba et la contribution qu’elle pourrait apporter pour la solution ou l’atténuation de cette crise.
Pour ce faire, nous essaierons de montrer les caractéristiques du travail chez Cheikh Ahmadou Bamba sur le plan de la philosophie qui le sous-tend et des normes qui le régissent.


I- LE TRAVAIL A UNE PLACE DE CHOIX DANS LE MOURIDISME
La place du travail dans le Mouridisme se manifeste à travers plusieurs aspects dont nous avons choisi trois. En effet, pour le fondateur                           du Mouridisme, le travail n’est pas seulement un droit et un facteur                         de promotion sociale, mais il est aussi et surtout un acte de foi et un devoir religieux. Raison pour laquelle le travail représente le troisième pilier                      du Mouridisme et fait partie intégrante de la formation du disciple mouride.

1- Le travail est un devoir religieux
Dans une de ses recommandations, Cheikh Ahmadou Bamba dit ceci:
Chercher le licite est un devoir pour tout musulman, sans aucun doute
et un célèbre propos en wolof lui est attribué: “Ligéey ci jaamu Yàlla la bokk“, qui veut dire que travailler fait partie des actes de foi. Ce propos est cité par plusieurs auteurs dont certains, de bonne ou de mauvaise foi, ont dénaturé son sens en prétendant que, pour les Mourides, travailler pour le guide spirituel peut dispenser le disciple du culte (jaamu Yàlla).
Pour Cheikh Ahmadou Bamba, le travail fait partie du culte au sens large du terme parce que, tout simplement, c’est Dieu qui l’a recommandé.                              Ainsi, l’idée selon laquelle le travail peut dispenser du culte lui est totalement étrangère.



2- Le travail est un pilier du Mouridisme
Il est de l’évidence que le travail est le troisième pilier du Mouridisme après le savoir et le culte au sens étroit du terme (les rites). Et tous ceux               qui ont la moindre connaissance du Mouridisme connaissent très bien                  cette réalité.

3- Le travail fait partie intégrante de la formation du disciple mouride
Les daara sont les centres de formation des disciples mourides.                                 Et dans les daara, depuis les origines, on dispense un enseignement théorique, une éducation pratique et une formation professionnelle.                            Pour ainsi dire, on prépare le disciple pour être conforme aux trois piliers                                 du Mouridisme.

II- DANS LE MOURIDISME LE TRAVAIL A DES OBJECTIFS NOBLES
Parmi les objectifs du travail que l’on peut déduire du Coran et de                       la Sunna, Cheikh Ahmadou Bamba met particulièrement l’accent sur deux d’entre eux: pouvoir consommer le licite et pouvoir préserver la liberté                      de choix.

1- Le travail permet de consommer le licite
Consommer le licite est si cher à Cheikh Ahmadou Bamba au point que, parlant du travail dans ses écrits, il n’emploie pas le mot “‘amal”                               mais il emploie des expressions comme talab al- halâl, kasb al- halâl                     ou iltimâs al- halâl qui signifient toutes “chercher le licite”. Et lorsqu’il emploie le vocable “‘amal” dans ses écrits, il l’emploie au sens d’action à côté                      de savoir “al- ‘ilm wa-l ’amal[1].
Si le cheikh attache autant d’importance à la consommation du licite                c’est par ce que consommer le licite aide à accomplir les actes de foi                         et  représente une condition pour que ces actes soient agréés par Dieu.


Ne consomme pas l’illicite ni le douteux. Consomme plutôt le licite.
Consomme du licite si tu veux obéir à Dieu et au Prophète, O pieux![2]
٭  ٭  ٭
Evitez de consommer l’illicite, car il ne cesse d’être un obstacle sur le Droit Chemin.
Cherchez le licite à tout moment; c’est par sa consommation qu’apparaissent                                      le Droit Chemin et l’obéissance à Dieu[3].

«Evitez de consommer l’illicite (…) La raison pour laquelle je vous interdis de consommer l’illicite, est que les choses de l’au-delà [les actes                de piété] ne se produisent de la part de celui qui se nourrit de l’illicite ou                   du douteux (…) au point que, même s’il le veut, celui qui se nourrit de l’illicite ne peut pas obéir à Dieu (…) D’ailleurs, la recherche du licite doit primer                 sur toutes les autres préoccupations»[4].

Quiconque accomplit un acte pieux avec des moyens illicites,                                            n’en récoltera que regret et honte[5].
٭  ٭  ٭
Ni le savoir, ni les actes de piété ne seront bénéfiques                                                             avec la consommation de l’illicite[6]

2- Le travail permet de préserver sa liberté de choix
Celui qui gagne sa vie par le travail ne dépend financièrement que                 de lui-même. Or cette indépendance financière est essentielle pour préserver la liberté de choix et d’action. Par contre, celui qui est dépendant financièrement est facilement manipulable. Le Wolof ne dit-il pas: «Ku ëmb               sa sanqal ëmb sa kersa
Cette aspiration à l’indépendance qui est une caractéristique intrinsèque du Mouridisme est bien illustrée par l’attitude du cheikh                          quand il voulait construire la mosquée de Touba.
Une fois l’autorisation de construire obtenue, le cheikh a fixé                         la somme de 140 Francs que tout membre de la communauté devait verser annuellement. Lorsque les cheikhs (ses délégués) sont venus apporter                    les fameux sas collectés à la première année, le cheikh les a réunis                             et leur a tenu des propos comme ceux-ci:
«Je vous ai réunis pour vous expliquer la philosophie des sas que j’avais ordonnés. Je voudrais que vous le preniez comme doctrine.             Chaque fois que vous aurez à réaliser un projet, réunissez vos propres moyens et limitez vos besoins en fonction de vos moyens pour ne pas dépendre de qui que ce soit. C’est de cette manière que vous préserverez votre RELIGION et votre DIGNITE»[7].
Il y a, certes, d’autres objectifs pour le travail mais ces deux dont                 nous avons parlé sont les plus illustrés dans les enseignements                              de Cheikh Ahmadou Bamba.

III- DANS LE MOURIDISME LE TRAVAIL A DES NORMES A RESPECTER
Le respect de normes bien définies est, sans doute, un facteur nécessaire pour l’assainissement de l’environnement du travail qui,                              à son tour, facilite le développement économique.
S’agissant de la doctrine mouride du travail, des normes rigoureuses sont établies, des normes qui renvoient à la morale et à la légalité.                            Quatre de ces normes nous semblent particulièrement intéressantes.

1- Le travail doit être légal en soi

Cette norme exclut des activités telles que:

-         le vol[8];
-         l’usurpation (prendre le bien d’autrui par force)[9];
-         tendre la main sans une nécessité pressante[10];
-         le jeu de hasard sous quelque appellation et quelque forme qu’il soit.
2- Le travail qui est légal en soi ne doit pas occasionner des pratiques prohibées
Le commerce, l’artisanat, les services, etc. sont des activités légales                  en elles-mêmes. Mais il y a des pratiques qui peuvent les dénaturer                              et leur enlever leur caractère noble. Parmi ces pratiques, nous pouvons citer
-         Toute sorte de supercherie (tricherie, fraude, falsification): celui qui                   la pratique est déclaré par le Prophète –Paix et Salut sur lui- indigne d’être des siens (les musulmans)[11];
-         Toute sorte d’exploitation (profiter de la nécessité d’autrui pour lui imposer sa loi): le phénomène bukki en représente l’une des pires formes;
-         Toute sorte de spéculation;
-         L’usure (ribâ): Dieu a déclaré la guerre à celui qui la pratique[12],                        et les intérêts bancaires en font partie selon la majorité                                  des jurisconsultes.
-         Négocier dans tout ce qui entraîne l’ivresse par essence (boissons alcooliques, drogues dures et douces): celui qui y touche de près                     ou de loin est exposé à la malédiction de Dieu[13].

3- Le travail ne doit pas empêcher d’observer le culte à temps
Selon Cheikh Ahmadou Bamba, celui qui abandonne momentanément son travail pour observer la prière tirera profit de la prière et de son travail,                   au contraire de celui qui rate ou retarde la prière pour le travail qui ne tirera profit ni de l’un ni de l’autre[14]. C’est ainsi qu’il n’acceptait pas un service que l’on lui rendrait au détriment de la prière ou du jeûne[15].


4- Le fruit du travail doit être utilisé selon les recommandations de Dieu
Après avoir recommandé la recherche du licite, le cheikh exige de ne pas le gaspiller:
Et quand tu le trouveras, ne le gaspille pas,                                                                                     car quiconque gaspille le licite sera anéanti[16]
         «… et une fois l’obtenir, on doit ne pas le gaspiller car il est rare                ces temps-ci»[17].
Et ne pas le gaspiller c’est, en résumé, sortir sa zakât si les conditions requises sont réunies et dépenser le reste dans les domaines                                        de la bienfaisance (subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, venir en aide aux nécessiteux, participer au financement des projets                      d’intérêt commun, etc.)

CONCLUSION
         Comme nous l’avons souligné au début, le but de cet exposé était                 de présenter les principes fondamentaux qui caractérisent le travail                         dans le Mouridisme pour voir dans quelle mesure la doctrine du travail                                dans le Mouridisme pourrait contribuer à la solution de la crise économique qui secoue une grande partie du monde.
Et ce que nous avons constaté est que cette doctrine peut bien aider                à surmonter cette crise. En effet, quand on élève le travail au rang                du devoir, quand on respecte les normes morales et légales et quand on               ne gaspille pas on a de fortes chances de vaincre toute crise quel que soit son ampleur.

Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud


BIBLIOGRAPHIE

1- Le Coran et les recueils de la Sunna.
2- Cheikh Ahmadou Bamba, Munawwir as- sudûr.
3- Cheikh Ahmadou Bamba, Recueil de recommandations, correspondances, maximes, etc.
4- Cheikh Mouhammad Bachir MBACKE, Minan al- Bâqî al- Qadîm.
5- Khadim SYLLA et Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud, Lecture critique                      des écrits du professeur Ravane MBAYE sur le Mouridisme et son fondateur, Paris, 1994.
6- Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud, Place et philosophie du travail                          dans le Mouridisme, Touba, 1997.
7- Mountakha DIATTARA, Le Mouridisme: signification et principes,                       Touba, 2009.





[1]Certains chercheurs chevronnés tel que Serigne Affé  NIANG affirment ne connaître qu’un seul endroit où le cheikh emploi le vocable “‘amal” au sens d’activité génératrice d revenu. Il s’agit du vers No 246 dans Masâlik al- jinân.

[2] Munawwir as- sudûr, vers 121 et 122.

[3] Recueil de recommandations, correspondances et maximes du cheikh, pp. 117 & 118

[4] Ibid.

[5]Munawwir as- sudûr, vers 126.

[6] Recueil de recommandations…, Op. Cit.

[7] Rapporté à Dr Khadim SYLLA par Serigne Mouhammadou Diop Astou, un des proches disciples                           de Cheikh A. Bamba.

[8] Recueil de recommandations…, Op. Cit. pp. 117 & 118.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Muslim, hadîth 146 et At- tirmidî, hadîth no 1236 et il l’a jugé sahîh (authentique de 1er degré).

[12] Voir : Sourate II, Verset 278.

[13] L’imam Ahmad, hadîth 5134 avec une chaîne de transmission hasan (authentique de 2nd degré).

[14] Recueil de recommandations…, Op. Cit. , p.p. 37 & 38.

[15] Serigne Bachir MBACKE, Minan al- bâqî al-qadîm, tome 1, p. 19.

[16] Munawwir as- sudûr, vers 121-123.


[17]Recueil de recommandations…, Op. Cit. p. 118.

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