LE TRAVAIL ET LA KHIDMA
DANS LE MOURIDISME


Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud
Dr Khadim SYLLA
Mountakha DIATTARA


Touba, safar 1431 (février 2010)

INTRODUCTION
        Les Mourides se distinguent, entre autres, par leur engouement pour le travail             et leur disposition à dépenser une grande partie du fruit de leur travail dans l’intérêt              de la confrérie d’une manière particulière et dans celui des musulmans d’une manière  générale. Cette caractéristique, loin d’être fortuite, reflète deux principes fondamentaux du Mouridisme que sont le travail et la khidma.
         Certains parmi ceux qui ont écrit sur le Mouridisme ont commis une erreur dans leur interprétation de l’engouement des Mourides pour le travail et de leur générosité. Ceux-ci sont tombés dans une telle erreur parce qu’ils n’avaient pas une bonne connaissance du Mouridisme, de ses principes et des facteurs qui animent                        ses adeptes. Ainsi ils ont jugé le Mouridisme à partir de stéréotypes tirés                           des mouvements que la civilisation occidentale a eu à connaître à travers son histoire religieuse. Par conséquent, certains d’entre eux ont accusé les Mourides d’accorder                    la priorité au travail au détriment du culte comme ils ont accusé leurs dirigeants d’exploiter les adeptes et de les dispenser du culte en contre partie du travail qu’ils effectuent pur leur compte.

        C’est la raison pour laquelle nous voudrions rétablir la vérité ici en nous basant sur les sources internes du Mouridisme notamment celles provenant de son fondateur Cheikh Ahmadou Bamba en lieu et place des allégations gratuites dépourvues de                tout argument. Pour ce faire, nous commencerons par définir les concepts de “travail” et de “khidma” et parlerons, ensuite, de leurs bases philosophiques et des normes qui les régissent, avant d’évoquer leur impact.
        Il est à noter que la substance de cet essai est tirée des quatre documents suivants:
1- Etudes critiques des écrits du professeur Rawane MBAYE sur le Mouridisme                    et son fondateur, Khadim SYLLA et Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud,                 Paris, 1994.
2- Place et philosophie du travail dans le Mouridisme, Cheikhouna MBACKE                Abdoul Wadoud, Touba, 1997[1].
3- Le Mouridisme: signification et principes, Mountakha DIATTARA                              avec la collaboration d’autres, Touba, 2009[2].
4- La migration interne des mourides et son impact dans le domaine économique,               Dr Khadim SYLLA, Dakar, 2009.
Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud
LES CONCEPTS
        Les concepts de travail et de khidma portent tous sur l’activité délibérée fournie par une ou plusieurs personnes, mais c’est le fruit attendu de cette activité qui différencie le travail de la khidma.

Le travail
        Le travail désigne ici l’activité exercée par l’individu dans le but d’obtenir                  une contre partie matérielle qui peut être en nature ou en espèce.
        C’est ce que désigne le vocable arabe “‘amal“. Quant à Cheikh Ahmadou Bamba, il emploie dans ses écrits des expressions comme talab al- halâl, kasb al- halâl ou iltimâs al- halâl qui signifient toutes “chercher le licite”. Lorsqu’il emploie                le vocable “‘amal” dans ses écrits, il l’emploie au sens d’action à côté de savoir                         “al- ‘ilm wa-l ’amal[3].

La khidma
        La khidma est un terme très usité dans les milieux soufis et plus particulièrement dans les milieux mourides. Ce terme signifie, entre autres, rendre service à quelqu’un dans l’espoir d’obtenir l’agrément de Dieu ou, d’une manière plus générale, l’activité exercée par l’individu pour obtenir l’agrément de Dieu ou pour tout autre motif                       en dehors du gain matériel personnel.
        Le synonyme le plus courant de “khidma” est le bénévolat qui, de plus en plus,  joue un rôle prépondérant dans les rapports entre les citoyens et leurs pays et dans               les relations entre les peuples du monde entier.



LES BASES PHILOSOPHIQUES
        Le travail et la khidma ont des bases philosophiques qui sont à l’origine                       de la place qui leur est accordée dans le Mouridisme. Ces bases sont inspirées des enseignements dont regorgent le Coran et la Sunna.

Les bases philosophiques du travail dans le Mouridisme
        L’intérêt accordé au travail par les mourides est sous-tendu par une philosophie profonde qui dépasse le gain matériel. Cette philosophie trouve ses racines dans                     de nombreux textes de la Sunna où le Prophète –Paix et Salut sur lui- exhorte                        les musulmans au travail, les avertit contre la non-activité et le fait de tendre la main et où il insiste sur le rôle de la consommation du licite dans l’exaucement des prières et dans l’agrément par Dieu des bonnes actions.
        Loin de prétendre de parler de tous les aspects du sujet, nous nous contentons                 de parler de deux bases qui ont eu une attention particulière de la part de                       Cheikh Ahmadou Bamba fondateur du Mouridisme.

1- Travailler est le moyen principal pour consommer le licite
        Travailler est le principal moyen qui permette de consommer le licite.                         Or consommer le licite facilite l’accomplissement des bonnes actions et  représente une condition pour que ces actions soient agréées par Dieu. C’est ce que le cheikh affirme en ces termes:
Chercher le licite est un devoir
pour tout musulman, sans aucun doute
***
Evitez de consommer l’illicite,
car il ne cesse d’être un obstacle sur le Droit Chemin.
Cherchez le licite à tout moment ;
c’est par sa consommation qu’apparaissent le Droit Chemin et l’obéissance à Dieu[4].
***
Ne consomme pas l’illicite ni
le douteux. Consomme plutôt le licite.
Consomme du licite si tu veux obéir
à Dieu et au Prophète, O pieux![5]
***
Ni le savoir, ni les actes de piété ne seront bénéfiques
avec la consommation de l’illicite[6]
Quiconque accomplit un acte pieux avec des moyens illicites,
n’en récoltera que regret et honte[7].

2- Le travail est une garantie de la liberté de choix
Celui qui gagne sa vie par le travail ne dépend financièrement que de lui-même. Or cette indépendance financière est essentielle pour avoir la liberté de choix                         et d’action. Par contre, celui qui est dépendant  financièrement est facilement aliénable. Le Wolof ne dit-il pas : Ku ëmb sa sanqal ëmb sa kersa ? Cette aspiration              à l’indépendance qui est une caractéristique permanente du Mouridisme est bien illustrée par l’attitude du cheikh quand il voulait construire la mosquée de Touba.

Une fois l’autorisation de construire obtenue, le cheikh a fixé une somme                      (140 Francs) que tout membre de la communauté devait verser annuellement. Lorsque les cheikhs (délégués du cheikh) sont venus apporter les fameux sas collectés à la première année, le cheikh les a réunis et leur a tenu des propos comme ceux-ci: « Je vous ai réunis pour vous expliquer la philosophie des sas que j’avais ordonnés. Vous savez que si je le demandais les Français n’hésiteraient pas à me construire la plus grande et la plus belle mosquée dans un temps record.                             Mais je voudrais que vous le preniez comme doctrine. Chaque fois que vous aurez               à réaliser un projet, réunissez vos propres moyens et limitez vos besoins en fonction de vos moyens pour ne pas dépendre de qui que ce soit. C’est de cette manière que vous préserverez votre RELIGION et votre DIGNITE»[8].





Les bases de la khidma dans le Mouridisme
La khidma dans le Mouridisme, à l’instar du travail, s’appuie sur des bases tirées des textes du Coran et de la Sunna. Ici, nous nous contenterons d’évoquer               deux de ces bases.

1- La khidma est un moyen efficace d’éducation
L’objectif de l’éducation du disciple est de lui donner une formation intégrale lui permettant d’être en bons termes vis-à-vis de Dieu, de lui-même et                                      de ses semblables créatures. Cela dit, un guide spirituel compétent se soucie de tous                les domaines qui puissent réaliser cet objectif. D’où l’orientation des disciples                   par le cheikh vers les différentes activités physiques, intellectuelles et spirituelles.
Selon Cheikh Mouhammad Bachir dans Minan al- Bâqî al- Qadîm[9]                              ”Il [le cheikh] avait une parfaite connaissance de son peuple et de son époque.                           Etant conscient de l’ignorance de la chose religieuse répandue dans la population                   et la dégradation des mœurs à leur sein, il tenait à leur imposer, en dehors du culte obligatoire et surérogatoire, des travaux physiques pour dissiper la paresse qui est l’origine de toute corruption dans le domaine religieux comme profane et dont                        la majorité des habitants de son terroir était réputée et pour diluer la fierté et l’orgueil qui étaient profonds en eux du fait de leur enracinement dans la nature humaine”. Cela signifie que le cheikh utilisait le travail comme remède à certaines maladies                 du cœur dont souffraient certaines personnes, telles que l’ostentation, le fanatisme ethnique, le mépris de certaines activités et d’autres maladies du cœur qui entravent                la marche du disciple. C’est  ainsi qu’il orientait chaque disciple vers l’activité qui lui convenait, ce qui a permis de voir entre eux des ramasseurs de bois morts,                          des cultivateurs, des scribes, etc.
Il utilisait aussi ce que l’on peut appeler le contre-emploi, c’est à dire employer le disciple dans une activité à l’encontre de son activité héréditaire. C’est dans                                  ce cadre qu’il confiait à certains qui étaient cordonniers ou forgerons les fonctions                    de scribes et d’enseignants, tandis qu’il chargeait certains membres des familles religieuses des travaux de menuisiers, forgerons, etc.

2- Les mérites de la khidma
Rendre service à autrui (la khidma) est exalté à plusieurs endroits dans                        le Coran et la Sunna. Il est un facteur de supériorité dans la vie d’ici-bas et un moyen qui ouvre les portes du Paradis. Le cheikh dit ceci dans Masâlik al- jinân[10]:
Il est dit que lorsque le Jour dernier arrivera,                                                                                                       que le pont sera suspendu au-dessus de l’Enfer,
Et que les créatures seront confrontées à la tristesse et à la détresse,                                                                  une voix appellera “où sont les gens de la khidma
Au bénéfice des musulmans?” ils répondront alors                                                                                                   et seront ordonnés à rejoindre vite le Paradis
En leur disant: “dirigez-vous vers le Paradis,                                                                                                     sans épreuve et sans peine”.

LES DOMAINES
Chacun du travail et de la khidma dans le Mouridisme  a ses propres domaines même s’ils sont régis par des normes communes.

Les domaines du travail
Les domaines du travail sont innombrables. Car ils englobent toute activité légale génératrice de revenue, des travaux manuels primitifs à la technologie la plus récente.
Ainsi, les mourides s’activent dans tous les nivaux de l’échelle du travail.                   Nous les trouvons, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, dans les secteurs                         de l’agriculture, de l’artisanat, du commerce, du transport, de l’industrie, des services, etc.

Les domaines de la khidma
Nous entendons par domaines de la khidma les bénéficiaires de la khidma.                 Ces bénéficiaires sont tout aussi nombreux, allant des deux parents jusqu’à l’ensemble des musulmans.
Voici, en résumé, quelques recommandations de Cheikh Ahmadou Bamba               sur ce sujet:

1- Khidma pour les parents
Obéis promptement à tes parents                                                                                                                       et sois prévenant à leur égard
Abstiens-toi de tout ce qu’ils t’interdisent;                                                                                                     ton mérite agrandira alors[11]

2- Khidma pour le guide spirituel
Voue un total respect à ton guide spirituel,                                                                                           considère le comme un seigneur et offre lui de tes biens
Subviens à ses besoins ta vie durant                                                                                                            en lui offrant de tes biens et en lui rendant service tant que faire ce peut[12]

3- Khidma pour les oulémas et les vertueux
Rend visite aux oulémas et aux vertueux
et rends-leur service à tout moment pour l’amour de Dieu
Sollicite leurs prières et cherche la bénédiction auprès d’eux;
tu seras alors de plus en plus guidé
Car magnifier un savant qui met son savoir en pratique
c’est magnifier Dieu, selon ce qui est rapporté[13]

4- Khidma pour l’aîné
Lorsque tu accompagnes une personne plus âgée que toi,
ne cesse de lui vouer respect[14]
***
Rends-lui service dans tout ce dont il a besoin;
tes besoins seront alors réalisés par la suite[15]

5- Khidma pour les camarades de route
Lorsque tu accompagnes des gens en voyage,
soutiens les dans tous les besoins
Rends-leur service, surveille leurs montures
et garde leur bagage derrière eux[16]

6- Khidma pour tous les musulmans
Rends-leur service à eux tous pour l’amour de Dieu,
sans vanité aucune[17]

LES NORMES
        Si, dans le Mouridisme, le travail et la khidma ont cette importante considération, il est à noter que cette considération ne leur est accordée que                   sous réserve du respect de certaines normes. En d’autres termes, il y a des activités louables et d’autres qui ne le sont pas selon le respect ou non de normes bien définies. Parmi ces normes on peut noter ce qui suit:

1- Le fait que l’activité soit permise en soi
        Les activités permises étant illimitées, nous soulignons ici quelques activités                non permises banalisées par certains musulmans par ignorance ou par l’emprise                      de la passion:
- le vol[18].
- l’usurpation (prendre le bien d’autrui par force)[19].
- tendre la main sans une nécessité pressante[20].
- jeux de hasard : à titre d’exemple, tout ce que LONASE au Sénégal organise en fait partie.

2- Le fait que l’activité qui est permise en soi ne contienne pas d’autres pratiques prohibées
        L’agriculture, le commerce, l’artisanat, les services, etc. sont des activités permises en elles-mêmes. Mais il y a des pratiques qui peuvent les dénaturer                       et leur enlever leur caractère noble. Parmi ces pratiques, on peut citer
- Toute sorte de supercherie (tricherie, fraude, falsification): celui qui la pratique                  est déclaré par le Prophète –Paix et Salut sur lui- indigne d’être l’un des siens                    (les musulmans)[21].
- Toute sorte d’exploitation (profiter de la nécessité d’autrui pour lui imposer sa loi) : le phénomène bukki en représente l’une des pires formes.
- Toute sorte de spéculation
- L’usure (ribâ) : Dieu a déclaré la guerre à celui qui la pratique[22], et les intérêts bancaires en font partie selon la majorité des jurisconsultes.
- Négocier dans tout ce qui entraîne l’ivresse par essence (boissons alcooliques, drogues dures et douces, etc.) : celui qui y touche de près ou de loin est exposé                       à la malédiction divine[23].

3- Le fait que le travail n’empêche pas d’observer le culte à temps                        (prière, jeûne…)
        Selon Cheikh Ahmadou Bamba, celui qui abandonne momentanément un travail pour observer la prière tirera profit de la prière et de son travail, au contraire de celui qui rate ou retarde la prière pour le travail qui ne tirera profit ni de l’un ni de l’autre[24].
        La rigueur du cheikh dans ce domaine l’amenait même à défaire tout ce qu’on ferait à l’heure de la prière s’il était possible de le défaire. Sinon il ordonnait                          à le donner en aumône afin qu’il ne profite ni à lui ni aux siens. C’est ainsi qu’il n’acceptait aucun service qu’on lui rendrait au détriment de la prière ou du jeûne[25]. Cette rigueur est suivie de nos jours par les cheikhs les plus fidèles                                            à ses enseignements.

4- Le fait d’utiliser le fruit de l’activité conformément aux recommandations               de Dieu
        Après avoir recommandé la recherche du licite, le cheikh exige «… et une fois l’obtenir, on doit ne pas le gaspiller car il est rare ces temps-ci»[26]. Et ne pas le gaspiller c’est, en résumer,
- Sortir sa zakât si les conditions requises sont réunies;
- Le dépenser dans les domaines de la bienfaisance (subvenir à ses propres besoins               et à ceux de sa famille, venir en aide aux nécessiteux, participer au financement                     des actions et travaux de l’intérêt commun, etc.)

L’IMPACT DU TRAVAIL  ET DE LA KHIDMA                                         CHEZ LES MOURIDES

        L’intérêt accordé par le Mouridisme au travail et à la khidma a poussé aussi bien les dirigeants de la confrérie que les adeptes à investir tous les secteurs d’activités                et à dépenser promptement dans la voie de Dieu.
        Parmi les aspects les plus anciens de l’impact du travail et de la khidma chez               les Mourides on peut noter les villages fondés par les dirigeants des Mourides dès      le départ en exil gabonais de Cheikh Ahmadou Bamba en 1895[27]. Car depuis lors,                les daara (centres d’éducation) s’occupent de la formation des disciples                                et de la recherche de ressources alimentaires et financières pour subvenir à                           leurs besoins. C’est ce qui a amené les dirigeants des Mourides à s’installer                      dans différents endroits du pays où ils pouvaient trouver des terres cultivables.                    Une enquête du ministère du Plan et du Développement en 1960 a dévoilé l’existence de 200 villages mourides fondés à des fins économiques[28].
        La fondation de ces villages a eu un autre impact, à savoir l’accroissement                      de l’influence économique des Mourides. En effet, la découverte par les dirigeants                des Mourides de terres vierges pour le développement de leurs cultures a coïncidé avec l’introduction de la culture d’arachide dans le pays par les autorités                                  de l’occupation française pour subvenir à leurs besoins oléagineux. Ainsi la culture               de l’arachide a commencé à prendre la place de la culture vivrière traditionnelle                    et les Mourides ont vite joué les premiers rôles dans la nouvelle culture.
        Les chiffres suivants donnent une idée de la contribution des Mourides dans                  le développent agricole:
1- Selon  Donald O’Brien Cruise, les Mourides ont, à eux seuls, produit en 1958                        entre le quart et la moitié de la récolte arachidière du Pays[29].
2- A Bourlin, cité par Vincent Monteil, affirme qu’en  1959, le tonnage d’arachides produit par un village mouride pouvait rapporter jusqu’à un million de francs C.F.A de l’époque et par an[30].
3- En  1992, Le khalif Général des Mourides Serigne Saliou MBACKE  a investit                  à Khelcom 700 millions de francs C.F.A. en matériels agricoles et en semences.                   Sa récolte pour la même année se chiffre à mille tonnes malgré une très faible pluviométrie[31].
Le rôle économique des Mourides ne se limite pas dans le domaine                               de l’agriculture. Ils se sont distingués aussi dans les différentes activités économiques notamment commerciales. Cela a commencé avec les premiers vagues migratoires des talibés mourides vers Dakar qui étaient originaires du Baol, en particulier                         de Lambaye et de ses environs, et qui ont investi la capitale sénégalaise dans                      les années 1940. Ces “bawol-bawol” étaient de petits commerçants et s’étaient établis non loin du centre-ville sur une vaste place appelée “Pàkku Làmbaay” pour marquer l’origine de ses immigrés. Depuis lors, sont appelés “bawol-bawol” tous les Mourides qui représentent la majorité des commerçants à Dakar et qui se comptent parmi                     les plus grands nantis du pays.
Pour étayer cela, il suffit de citer quelques hommes d’affaires mourides                         de grande renommée:
1- El Hadji Babacar KEBE, dit NDiouga: Le plus connu des riches sénégalais                          à son temps. Il investissait dans plusieurs domaines (mobilier, textile, commerce, hôtellerie, etc.)
2- El Hadji Djily MBAYE: Il avait une fortune comparable à celle de NDiouga                  et investissait dans les mêmes domaines que lui, avec la différence qu’en tant que membre du conseil économique et social, il investissait dans le cadre du plan                      de développement.
3- A côté de ces deux personnalités, on peut citer d’autres opérateurs économiques tels que El Hadji Mor SOURANG, M. Alla SENE, M. Abdou Karim FALL,                          El Hadji Serigne SALL, El Hadji Bara MBOUP, etc. qui s’activaient dans                           les différents secteurs de l’économie[32].
Dans le domaine de l’industrie, les Mourides détiennent 70% des entreprises                  dans la zone industrielle SODIDA.
Dans le domaine de l’artisanat, les Mourides occupent  7/10 des activités                     de la cordonnerie à Tilène et 6,5/10 de la fabrication d’objets d’art africain au village artisanal de Soumbédioune.
D’autre part, la présence des Mourides et leur dynamisme dans la diaspora                 en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord et en Asie n’est qu’un des résultats                de leur attachement au travail.
Mais de tous les aspects de l’impact du travail et de la khidma dans                             le Mouridisme, ce qui nous paraît le plus important c’est cette capacité des Mourides à être autosuffisants qui leur a permis de réaliser sur fonds propres de grands travaux à des temps records et dans des circonstances par fois difficiles.                                           Parmi ces réalisations, les grandes mosquées de Touba et Diourbel, la bibliothèque Cheikhoul Khadim, le siège de la Khilafa et le projet de l’université.                                               A côté d’infrastructures telles que l’hôpital Matlaboul Fawzaïni, des marchés,                       des routes goudronnées, etc. Cela leur a assuré une indépendance parfaite                          et une liberté totale devant toute pression venant de l’intérieur ou de l’extérieur.

CONCLUSION
A travers les pages précédentes, il est démontré que l’engouement                                des Mourides pour le travail et leur promptitude à financer les projets d’intérêt commun ne sont que le reflet de facteurs qui trouvent leurs origines dans les textes               du Coran et de la Sunna. Ces facteurs se résument, pour l’essentiel, au fait que                      le travail est le moyen principal pour consommer le licite et pour l’autosuffisance,                 ce qui entraîne l’agrément du culte et le libre choix.
D’autre part, nous avons démontré que le travail qui mérite cet intérêt chez                         les Mourides inclut tout travail légal permis par la charia et que la khidma chez eux profite à tous les êtres humains.
Il a été démontré aussi que le travail et la khidma dans le Mouridisme                             sont régis par des normes bien déterminées qui garantissent leur légitimité.                           Ces normes se résument, à leur tour, au fait que l’activité soit permise par la charia                   et qu’elle n’empêche pas d’effectuer les cultes comme la prière et le jeûne.
En fin, nous avons constaté quelques aspects de l’impact du travail et de                        la khidma dans le Mouridisme qui ont tous abouti à la forte influence économique                    des Mourides qui a eu comme conséquences une influence politique,                                   l’autosuffisance et le libre choix.
S’appuyant sur tout ce qui précède, nous voyons dans l’expérience mouride,                  en dehors des facteurs et normes religieux, une issue pour les pays en voie                              de développement dans leur ensemble face au sous-développement et un rempart                face à la dépendance vis-à-vis de l’Occident ou de l’Orient.

BIBLIOGRAPHIE

1- Le Coran et les recueils de la Sunna.
2- Cheikh Ahmadou Bamba, Masâlik al- jinân.
3- Cheikh Ahmadou Bamba, Munawwir as- sudûr.
4- Cheikh Ahmadou Bamba, Nahj qadâ al- hâj.
5- Cheikh Ahmadou Bamba, Recueil de recommandations, correspondances, maximes, etc.
6- Cheikh Mouhammad Bachir MBACKE, Minan al- Bâqî al- Qadîm.
7- Khadim SYLLA et Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud, Lecture critique                      des écrits du professeur Ravane MBAYE sur le Mouridisme et son fondateur, Paris, 1994.
8- Cheikhouna MBACKE Abdoul Wadoud, Place et philosophie du travail                          dans le Mouridisme, Touba, 1997.
9- Mountakha DIATTARA, Le Mouridisme: signification et principes, Touba, 2009.
10- Dr Khadim SYLLA, La migration interne des mourides et son impact                         dans le domaine économique, Dakar, 2009.






[1] C’était l’une des conférences du Magal de 1422.

[2] C’est la conférence du Magal de 1430.

[3]Certains chercheurs chevronnés tel que Serigne Affé  NIANG affirment ne connaître qu’un seul endroit              où le cheikh emploi le vocable “‘amal” au sens d’activité génératrice d revenu. Il s’agit du vers No 246 dans Masâlik al- jinân.

[4] Recueil de recommandations, correspondances, maximes …, pp. 117 & 118

[5] Munawwir as- sudûr, vers 121 et 122.

[6] Recueil de recommandations…, Op. Cit.

[7]Munawwir as- sudûr, vers 126.

[8] Rapporté à Dr Khadim SYLLA par Serigne Mouhammadou Diop Astou, un des proches disciples                           de Cheikh A. Bamba.

[9] T. 1, p. 60

[10] Les vers 464-467.

[11] Nahj qadâ al- hâj, vers 127 et 128.

[12] Ibid., vers 190 et 191

[13] Ibid., vers 135-137.

[14] Ibid., 138.

[15] Ibid., vers 144.

[16] Ibid., vers 145 et 146.

[17] Masâlik al- jinân, vers 468.

[18] Recueil de recommandations…, Op. Cit. pp. 117 & 118.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Muslim, hadîth 146 et At- tirmidî, hadîth no 1236 et il l’a jugé sahîh (authentique de 1er degré).

[22] Voir : Sourate II, Verset 278.

[23] Dans son recueil de hadîth, l’mam Ahmad rapporte un hadîth dans ce sens (no 5134) avec une chaîne de transmission digne de foi.


[24] Recueil de recommandations…, Op. Cit. , p.p. 37 & 38.

[25] Serigne Bachir MBACKE, Minan al- bâqî al-qadîm, tome 1, p. 19.

[26]Recueil de recommandations…, Op. Cit. p. 118.

[27] Dans sa thèse de Doctorat, Dr Khadim SYLLA affirme avoir recensé personnellement plus de 400 de ces villages.

[28] Vincent Monteil, l’Islam Noir, Paris, Seuil,  p. 371

[29] O’Brien D. C., cité par Vincent Monteil dans l’Islam Noir, op cit 1964.

[30] Bourlin A. cité par Vincent Monteil, op cit., P. 372.


[31] Entretien de Dr Khadim SYLLA avec Serigne Modou GAYE, un des proches collaborateurs de Serigne Saliou


[32] Diop M.C. l’organisation pratique et mode d’implantation urbaine des Mourides. Thèse de doctorat de 3é cycle, Lyon, 1980, Chap. 7.

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