Cette lettre très touchante fut imaginée et écrite par une jeune adolescente, détenue à la « Grande Prison de la Modernité », à Sokhna Diarra Bousso, la sainte mère de Cheikh Ahmadou Bamba. Au-delà d’un talent certain pour la fiction littéraire et les échos captivants d’une certaine jeunesse «numérique», ce texte, malgré quelques fois son ton assez déroutant de cette familiarité du monde de l’« interactivité » créé par Facebook, Twitter et les SMS, ne manque pas également d’interpeler nos conceptions classiques sur la véritable valeur de certains fruits du « progrès » et de nous mener, ce faisant, à une profonde relativisation du vrai « sens » des choses. A travers cette correspondance métaphorique d’une jeune fille du monde qui ose, du fond de sa cellule digitalisée et hyper-médiatisée, invoquer le modèle éternel de Mame Diarra et des autres vertueuse de l’Islam, prisonniere1313@gmail.com déplace, sans le savoir, le champ de certains paradigmes actuellement imposés à la jeunesse et tente d’ouvrir, dans le haut mur de sa Grande Prison, ne serait-ce qu’un interstice assez large pour jeter à la mer une bouteille contenant le message, non plus d’une simple « ado » rêveuse en quête d’inspiration, mais celui de toute une humanité désorientée et en perte de vitesse, pour n’avoir pas su jusqu’ici distinguer le nécessaire de l’accessoire…
____________________________
____________________________
Lettre d’une prisonnière à Mame Diarra Bousso
Adresse : Prison de la Modernité
N° de Matricule de la Détenue : 1313-SFR-XVIII
N° de Matricule de la Détenue : 1313-SFR-XVIII
Chère Mame !
Je ne sais où te joindre. J’aurais bien aimé t’envoyer un mail, te parler sur Facebook, sur Skype, sur Twitter ou sur Viber... ou peut être même t’envoyer un petit texto. On dit que c’est plus rapide dans notre Prison. Mais il m’arrive quelques fois de me demander à quoi me servent tous ces moyens de communication du moment que je ne peux pas y joindre des personnes comme toi, avec qui j’ai follement envie de discuter. Oh Mame, tu ne sais pas comme je t’envie ! Toi qui ignores toutes ces choses ! Tu n’as pas été prise en otage, toi...
Quelle chance !
Mame, j’ai peur ! Ils étaient partis mais ils sont maintenant revenus. Cette fois ci avec des armes plus efficaces que des canons. On les appelle des « satellites » ! J’aurais bien aimé t’expliquer ce que c’est un satellite, mais j’ignore moi-même ce que c’est exactement. Tout ce que je sais, c’est que c’est à partir de ces satellites qu’ils nous ont tendus des pièges où nous sommes tombés si facilement. Ils ont réussi à nous ligoter avec des chaînes qu’ils appellent mondialisation, parité, féminisme, liberté, philosophie, droit, démocratie, développement, civilisation, TIC et tant d’autres liens. Ensuite ils nous ont déportés dans une Grande Prison que l’on appelle Modernité. C’est ainsi que nous sommes devenus leurs otages, avant même de nous en rendre compte. Oh Mame ! Comme je t’envie toi, qui a vécu loin de toutes ces chaînes !
Quelle chance !
Tu sais, Mame, j’aimerais tant m’évader de cette Prison et te retrouver. Mais il me semble impossible de m’en échapper car elle semble si bien fermée et si bien sécurisée. Je ne sais vraiment pas comment faire ! En plus, ils ne sont même pas efficaces, ces moyens qu’on nous offre dans la Grande Prison, sinon ma lettre te serait parvenue très facilement, n’est-ce pas ? Ou peut être est-ce nous qui ne savons pas comment les utiliser ? Je me demande même si ces moyens sont réellement appropriés et nous sont vraiment indispensables ! J’ai comme l’impression qu’on a sauté une étape, pas toi ? On devrait peut être forcer les portes de la Grande Prison et retourner à la source, à ta Source, celle où tu as puisé toute cette foi, toute cette force, toute cette patience, toute cette générosité, tout cet amour, et tout ce pouvoir !
Comme Mariama, Amina, Aicha, Fatima, ta vie aussi fut si courte mais son sens si grandiose ! Et pourtant tu n’avais pas à ta disposition les moyens qu’ils nous ont donnés dans la Grande Prison et qu’ils disent indispensables pour réussir ! Tu habitais dans un village au fin fond du Sénégal, tu n’as pas fait leur école, ni leur université, tu n’avais pas d’iphone, ni d’ipod, encore moins un ordinateur. Tu n’étais même pas à la « mode ». Moi la moderne, la « branchée » qui ai obtenu toutes ces choses qu’on dit « extraordinaires », à quoi me servent-elles si je n’arrive pas comme toi à faire quelque chose d’extraordinaire ? Même s’il m’arrive des fois d’en faire, des trucs pas mal, c’est très vite oublié, mais toi, le fruit de ton travail, plus d’un siècle après, on en parle encore et partout, même chez l’Oncle Sam ! Oh Mame, comme je t’envie d’avoir donné sens à ta vie !
Quelle chance !
Mame sais-tu ce que c’est une « star » ? Dans la Grande Prison, y’en a plein, enfin, je ne sais même pas si on peut appeler ça de vraies « étoiles » ! Il suffit, à partir de ces satellites dont je te parlais tantôt, qu’on nous montre sur un écran qu’on appelle ici « télé » un jeune homme ou une jeune femme presque nue pour qu’on dise que c’est une star ! Après, elles ont des « fans » qui imitent tous leurs faits et gestes, sans même réfléchir. Parce qu’elles sortent juste à la télé et ont de belle « fringues » (c’est comme ca qu’on appelle les étranges habits qu’on met dans la Grande Prison). Mais peu de temps après, on voit que ces soit disant stars s’éteignent et d’autres les remplacent émoticône wink
Alors que toi tu n’avais pas besoin qu’on te montre à la télé, ni qu’on te prenne en photo, tu n’avais pas besoin de publicité ni de vendre autant de disques. Tu n’avais pas besoin de tout ce folklore, et pourtant je n’ai jamais vu une star aussi grande que toi ! Qui a aujourd’hui autant de fans que toi, même dans la Grande Prison !? Mais, malheureusement, la plupart d’entre elles ne sont pas encore conscientes, qu’en plus d’être simplement tes fans, elles devront faire de toi leur modèle ! Oh Mame, je t’envie tellement, toi l’éternelle Star !
Quelle chance !
Ben, il faut que je te laisse mai'nant Mame. Je dois y aller, car les devoirs de la Prison m’appellent, hélas ! Ils nous occupent tellement au point que des fois on n’oublie même qui nous sommes, d’où nous venons et où nous devrions aller. Oh Mame, ma star ! Le seul fait de t’écrire cette lettre me rend si sereine et si heureuse ! J’aurais bien aimé continuer à te parler de la Grande Prison, te parler de nos nombreux problèmes, de nos peurs, de nos petits bonheurs et te raconter tant d’histoires sur cette feuille blanche qui est ma seule liberté !
A la prochaine Mame !
Souhaite moi ta chance, parce que j’en aurais vraiment besoin pour espérer un jour me libérer de leurs chaînes et m’évader de cette dure vie de Prison, cette Grande Prison qu’ils ont appelée Modernité. Pour te retrouver enfin au Grand Air et discuter avec toi de tant de choses qui donnent un vrai sens à la vie, sans être obligée de passer par Facebook, Skype, Twetter, Viber ou par un SMS.
A+ Mame.
prisonniere1313@gmail.com
____________________________
____________________________
PS : Le N° de Matricule de la Détenue (1313-SFR-XVIII) que nous avons relevé à l’en-tête de la lettre semble contenir une subtile suggestion assez significative, à notre sens. Car ce numéro, semblant être une version inversée de la date de départ en exil du Cheikh : 18 Safar 1313 (SFR=Safar, XVIII=18), suggère que cet évènement qui marque l’indépendance de son peuple symbolise également la liberté tacite, intellectuelle, mentale et spirituelle, acquise déjà par la prisonnière, ceci, à l’intérieur de sa cellule et même avant d’écrire sa lettre. Un vrai signe d'espoir…
Enregistrer un commentaire