Extraits de « KHIDMA : La Vision Politique de Cheikh A. Bamba » (Editions Majalis, 2010)
---------------
L’analyse nous a permis de réaliser que tout disciple ou Sujet de la Khidma se trouve astreint, au moins, à trois modalités (ou devoirs) auxquels il doit impérativement se conformer pour ne pas dévoyer sa Khidma ou en compromettre l’issue normale qu’est l’obtention de l’Agrément divin (à travers la satisfaction de son maître ou Objet de sa Khidma). Obligations que nous avons dénommées :
‐ Le devoir d’obéissance
‐ Le devoir de respect
‐ Le devoir d’amour
‐ Le devoir d’obéissance
‐ Le devoir de respect
‐ Le devoir d’amour
A ces trois obligations du Sujet doivent correspondre trois devoirs symétriques de la part du maître ou Objet de la Khidma, pour que celle‐ci ne se transforme pas en pure servitude, en exploitation humaine ou en associationnisme à Dieu (shirk) :
‐ Le devoir de piété (taqwa) ou de droiture
‐ Le devoir d’humilité
‐ Le devoir de compassion et de responsabilité
‐ Le devoir de piété (taqwa) ou de droiture
‐ Le devoir d’humilité
‐ Le devoir de compassion et de responsabilité
Ainsi nous a‐t‐il semblé facile de remarquer que ces devoirs d’obéissance, de respect et d’amour qui doivent exister dans d'autres types de Khidma (entre l’épouse et son mari, les enfants et leurs parents etc.), sont pratiquement les mêmes que les critères que l’on retrouve dans ce qu’on appelle les « rapports de soumission » des disciples mourides envers leurs marabouts. Mais également, assez étonnamment, dans les relations qu’entretenaient les Compagnons (Sahâba) avec le Messager de Dieu (PSL).
Cette idée de la « Khidma des Compagnons » s’avère d’autant plus intéressante qu’elle permet de vérifier la justesse de notre postulat voulant que l’ordre prophétique fondateur de Mbacké Cayor, donné à Cheikh A. Bamba, aux environs de 1883, pour « éduquer désormais ses disciples (ashâba) par la Himmah (determination spirituelle) », symbolisait l’ambition de revivifier la méthode antérieurement utilisée par le Prophète lui‐même pour éduquer et élever spirituellement ses Compagnons‐disciples (ashâba). Ce qui confirmait, par ricochet, la pertinence du principe de Tajdîd (renouveau) des piliers de l’Islam que revendiquait le Cheikh. Tout en explicitant les orientations et directives de Serigne Touba envers les premiers disciples auxquels il indiquait les Sahâbas comme modèles d'imitation (« ñooy seen baay ci diine »). Car, à y regarder de plus près, par quelle méthode et à travers quelle œuvre au service de l’Islam et de la Cité, les premiers musulmans ont‐ils brillamment réussi à asseoir les piliers de l’Islam pour la postérité ? Par le Jihad, comme beaucoup d’auteurs l’ont depuis toujours soutenu ? Non, plutôt par la Khidma (Service pour les créatures et pour la religion)… Plus précisément, par la Ibâda (Adoration verticale) et la Khidma (Adoration horizontale). L’œuvre du Prophète et de ses vaillants Compagnons pour défendre et propager la véritable religion, œuvre réalisée (pour la Seule Face de Dieu) au profit et au service de l’Islam et des milliards de musulmans qui allaient leur succéder, cette œuvre grandiose n’est‐ce pas justement ce qui est défini comme la Khidma ? Le Jihad par les armes ne fut en réalité qu’un élément potentiel, une composante possible de la Khidma - certes l’une des plus nobles et les plus sublimes, si certaines conditions extrêmes l’imposent - mais pas la seule composante. Contrairement à l'approche unilatérale et radicale qu’ont de cette notion les « djihadistes ». C’est cette hiérarchisation, ignorée jusqu’ici dans la recherche, entre la Khidma et le Jihad (qui représente, étymologiquement, un « effort » accompli dans la Khidma et la Ibâda pour la Cause de Dieu), qui explique la véritable portée du type de Jihad « par la science et la crainte de Dieu » à laquelle se consacrait Cheikh A. Bamba : « Mon Jihad se fait par les sciences et la crainte de Dieu, en ma qualité d’esclave de Dieu (Ibâda) et de Serviteur du Prophète (Khidma) ; en est Témoin le Seigneur qui régente toute chose...» (Laysal Birru)
Ainsi, sous cet angle innovant, bien avant la Khidma des mourides pour leur Cheikh (ligéeyal Serigne Touba), et bien avant le Service de celui‐ci pour le Prophète (Khidmatu Rasûl), ce furent les Compagnons du Prophète qui, les premiers, s’étaient consacrés à la Khidma pour l’Envoyé de Dieu. En se mettant à son service pour asseoir ensemble les piliers de la Religion et bâtir sa Cité politique. Œuvre qui a permis d’assurer la perpétuation du message islamique pour les générations futures. Ceci est la raison pour laquelle il est relativement facile de retrouver chez les Compagnons tous les devoirs du Sujet de la Khidma envers leur sublime Objet que représentait le Messager de Dieu : obéissance, respect et amour.
1- L'Obeissance des Compagnons envers le Prophète
Cette obéissance extrême et proverbiale des Sahâba envers le Prophète Muhammad (PSL), qui fut magnifiée aussi bien par les sources musulmanes que par leurs ennemis déclarés, procède en fait des injonctions du Coran qui insistent sur la nécessité pour les croyants d’obéir au Messager de l’Islam et de ne jamais transgresser ses directives (qui ne sont, en réalité, que celles du Seigneur qu’il est chargé de transmettre fidèlement (Coran 3:32), «Quiconque obéit au Messager obéit certainement à Dieu.» (4:80) etc. C’est notamment cette discipline collective des Compagnons derrière le Prophète, étonnamment assimilable au « Ndigël » mouride sous maints rapports, qui a permis aux premiers musulmans de préserver leur unité et d’accomplir brillamment la Khidma‐Jihad pour la Cité de l’Islam qu’il avait la mission d’ériger. Ce n’est qu’avec la disparition du Prophète et l’affaiblissement de cette discipline collective envers le « Ndigël du Prophète » et ceux de leurs dirigeants (Ûlul Amr), perçus comme moins compétents, que les musulmans ont peu à peu sombré dans les tiraillements politiques et les querelles d’intérêts (Fitna) qui ont affaibli la civilisation islamique jusqu’à nos jours.
2- L'Amour des Compagnons pour le Prophète
Pour ce qui est de l’amour et du respect indescriptible des Compagnons envers le Prophète Muhammad (PSL), ils furent étayés par un grand nombre d’évènements, d’illustres faits et gestes de révérence dans l’hagiographie islamique. Les Sahâba, dans leur vie de tous les jours, se comportaient avec le Prophète d’une manière unique qu’il est extrêmement rare de retrouver dans l’histoire, au point même de se faire traiter plus tard de « fanatiques mahométans » (notamment par leurs ennemis, frappés par leur dévotion extrême) car absolument prêts à sacrifier leurs vies, leurs biens, leurs familles et toute chose à son nom. Lorsqu’on demanda ainsi à Ali de décrire l’amour qu’ils nourrissaient envers le Prophète, il répondit : « Je jure par Dieu, il était plus aimé que nos biens, nos enfants, nos pères et mères, et plus aimé encore que l’eau fraîche en temps de soif. » Cet amour (hubb) pour le Prophète, qui doit être placé au‐dessus de toute chose par le croyant, fut magnifié aussi bien par le Coran que par le Messager lui‐même qui disait : « Je jure par [Dieu] qui tient mon âme entre Ses Mains, quʹaucun dʹentre vous ne sera véritablement croyant tant que je ne lui serai pas plus cher que sa propre personne, ses enfants, ses parents et tous les hommes réunis.» Propos qui, en réalité, ne faisait que confirmer un avertissement du Coran en ce sens : « Si vos pères, vos enfants, vos frères, vos épouses, votre clan, les biens que vous avez acquis, votre négoce dont vous craignez le déclin, les demeures où vous vous plaisez ; si tout ceci vous tient plus à coeur que Dieu, Son Prophète et la lutte dans la voie de Dieu, attendez‐vous alors à voir Dieu exécuter ses arrêts. Car Dieu nʹaime pas les pervers.» (9:24).
C’est précisément l’importance de cet attachement au Prophète, se devant d’être placé au‐dessus de tout, qui justifie l’amour extraordinaire et inégalable que Cheikh A. Bamba, le Serviteur du Prophète, nourrissait à l’endroit du Messager, dans le cadre de sa Khidma, au point de dire : « L’Amour du Prophète Elu, notre Maître, a totalement effacé en moi l’amour pour quoi que ce soit d’autre : biens, famille et enfants. », « Je lui ai entièrement fait don de mon sang, de ma famille et de mes enfants, en ma qualité d’esclave de Dieu et de serviteur du Prophète, lui qui constitue mon Appui».
3- Le Respect des Compagnons envers le Prophète
Le Coran insiste également et très fortement sur le respect envers le Prophète (PSL), qui représente le nécessaire pendant d’un tel amour fondé sur la piété, en mettant sévèrement en garde les Compagnons sur certaines attitudes pouvant paraître à priori banales mais qui s’avèrent irrespectueuses envers la personne éminente du Prophète ou de nature à le froisser secrètement : « Ô vous les croyants ! Nʹélevez pas vos voix au‐dessus de la voix du Prophète, et ne haussez pas le ton en lui parlant, comme vous le haussez les uns avec les autres. Sinon vos œuvres deviendraient vaines sans que vous vous en rendiez compte. Ceux qui, auprès du Messager de Dieu, abaissent leurs voix sont ceux dont Dieu a éprouvé les cœurs par la piété. Ils auront un pardon et une énorme récompense. Ceux qui tʹappellent à haute voix de derrière les appartements, la plupart dʹentre eux ne raisonnent pas. Et sʹils patientaient jusquʹà ce que tu sortes à eux, c’aurait été certes mieux pour eux.» (49:2‐5), « Vous ne devez pas faire de la peine au Messager de Dieu, ni jamais vous marier avec ses épouses après lui ; ce serait, auprès de Dieu, un énorme pêché.» (33:53).
Il existe également un grand nombre de récits (dont certains tenus des références que sont Bukhârî et Muslim) qui décrivent de manière frappante la profonde révérence avec laquelle les Compagnons se comportaient avec le Prophète qui montrent que les Sahâba n’avaient rien à envier aux véritables baye‐fall ! Récits qui semblent, en outre, accréditer les pratiques de tabarruk (obtention de bénédiction ou barkeelu en wolof) admises dans le soufisme et que le Prophète nʹaurait jamais permises sʹil y eut quelque soupçon dʹassociationnisme (shirk) en cela: « Quand le Prophète faisait ses ablutions, les Compagnons se battaient littéralement pour lʹexcès dʹeau. », « Abu hurayra raconta : « Jʹentrai [un jour] chez le Prophète qui se trouvait alors sous une tente en cuir rouge. Je vis Bilal qui recueillait le résidu dʹeau des ablutions du Prophète dont les gens sʹemparaient pour sʹen enduire le visage. Et quiconque ne parvenait pas à recueillir de cette eau, partageait les traces dʹeau restantes sur les mains de son proche compagnon (afin de sʹen enduire) » », « Abu Musa rapporte : « Le Prophète (PSL) se fit apporter un gobelet dʹeau, se lava les mains et lui fit face, cracha dedans, puis dit à Abu Musa et à Bilal : « Buvez‐en et versez le reste sur vos figures et vos poitrines.».» « Usâma Ibn Sharîk a rapporté : « Je suis venu voir le Prophète et jʹai vu ses Compagnons assis autour de lui, complètement immobiles et silencieux. » Dans un hadîth qui décrit le Prophète, il est dit : « Lorsquʹil parlait, ceux qui étaient autour de lui baissaient la tête et restaient immobiles et silencieux.» Urwa Ibn Masʹûd, envoyé par la tribu de Quraish auprès de lʹEnvoyé de Dieu, lʹannée dʹHudaybiya, décrit l’immense respect que lui vouaient ses Compagnons : « Par Dieu, le Messager de Dieu ne jetait par le nez ou par la bouche une pituite (crachat) sans quʹun Compagnon lʹattrapât et se frottât le visage avec elle, et quand il donnait un ordre, ils lʹexécutaient rapidement, et quand il faisait ses ablutions, ils se bousculaient pour recueillir le résidu dʹeau ; et quand il parlait, ils abaissaient leurs voix ; et, par [une extrême] vénération, ils ne le fixaient jamais du regard.» Lorsque Urwa Ibn Masʹûd revint dans la tribu de Quraish, il dit à ses membres : « Ô Gens de Quraish ! Jʹai vu les réceptions en grande pompe de Chosroes [roi de Perse], jʹai vu aussi les grandes réceptions de César ainsi que celles du Négus. Par Dieu! Je nʹai jamais vu un roi auprès de son peuple comme l’est Muhammad au milieu de ses Compagnons. »
C’est précisément l’esprit de ces enseignements de la Sourate « Les Appartements » (N° 49) et des hadiths qui fonde les modalités de la Khidma des Compagnons et, par delà eux, qui légitime celle des disciples soufis (comme les mourides) envers leurs maîtres spirituels, comme Cheikh A. Bamba, qui symbolisent à leurs yeux les héritiers et dignes perpétuateurs de la mission prophétique...
[Article suivant : L'AMOUR DES MOURIDES POUR SERIGNE TOUBA]
Enregistrer un commentaire