Et si Cheikh Ahmadou Bamba n’était pas Mouride ? Allons même plus loin. Et si Cheikh Ahmadou Bamba n’a jamais voulu être Mouride ou penser en Mouride ? Posées ainsi, ces questions, venant d’un intellectuel et d’une autre confrérie soufie de surcroît, peuvent sembler brusques. Cependant, je me devais de partager mes questionnements et, ainsi, à l’approche du Grand Magal de Touba, rendre hommage à cet homme de Dieu qui, de mon point de vue, avait un projet civilisationnel qui ne doit pas être sacrifié par le réductionnisme et le sectarisme du confrérisme.
En tant que Tidjane, j’ai eu à me plonger, par pure curiosité intellectuelle, dans l’œuvre poétique de Cheikh Ahmadou Bamba. Quelle fut grande ma surprise de voir les nombreuses ressemblances, en termes de thématiques mais aussi d’orientation poétique, avec l’œuvre de Seydi Elhadji Malick Sy que je connais un peu mieux. Fier et joyeux, je découvris que, avant Aimé Césaire, Mame Bamba défendait la dignité de la peau noire ; avant Ghandi, l’homme de Touba prêchait la paix et la non-violence. Paix et non-violence, le monde en a plus que jamais besoin.
Nous sommes dans un moment où l’extrémisme religieux se développe telle une peste aux ambitions génocidaires. Les populismes vainquent partout. L’altérité est de plus en plus sacrifiée. La violence devient la norme.
Dans ce contexte, tout discours ou enseignement en mesure d’éveiller les consciences sur l’exigence et l’urgence d’une paix durable, d’appeler à redonner à l’Homme sa dignité aujourd’hui bafouée, doit être mobilisée et arrachée de tout esprit sectaire. En ce sens, l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba doit être replacée dans sa vocation civilisationnelle qu’aucune confrérie ne devrait monopoliser.
Oui. Parce que Borom Touba pensait à l’Homme tout d’abord en tant que réceptacle du souffle divin et qui, par conséquent, doit être chanté, respecté et glorifié pour une parfaite réhabilitation de l’altérité : « Respecte en toute créature les Droits de Dieu, par considération pour son Créateur. » C’est Cheikh Ahmadou Bamba qui parle et qui, ailleurs, implore Dieu : «Ô Seigneur de l’univers, accorde Ta miséricorde à l’ensemble des créatures, ô Toi qui peux diriger les égarés ».
Les risques de fracture, dans un pays comme le Sénégal, marqué par un pluralisme d’offres idéologiques et mystiques, peut aussi venir de l’intérieur même de la religion dominante qu’est l’islam. Si le Tidjane pense avoir le monopole de la Vérité, que le Layène conteste cette vision qui ne sera certainement pas partagée par un Qadir ou encore un salafiste, l’adversité pourrait menacer toute aspiration à un bon vivre-ensemble. C’est justement pour contourner cette menace que Cheikh Ahmadou Bamba exhortait : « Ne soyez jamais hostile à celui qui prononce «Lâ ilâha illa-l lâh (il n’y a de divinité si ce n’est Dieu) ».
Comment ne pas être séduit, quelle que soit notre religion, appartenance confrérique ou orientation idéologique, par ces vers de Cheikh Ahmadou Bamba en faveur du pardon ? « J'ai pardonné à tous mes ennemis pour l’amour du Seigneur qui les a écartés de moi à jamais. Aussi ne songe-je nullement à me venger » ; « Ô Seigneur, à quiconque m’aura injustement blâmé ou offensé, accorde Ton Pardon » ; « Si je n’avais pas abandonné l’écriture en jihad contre les oppresseurs, la peste aurait tué tous les dénégateurs à moins qu’ils sollicitent le pardon du Tout-Pardonneur. Cependant, j’ai pardonné à tous les hommes, pour la face de Dieu. »
Le pardon est ainsi vu comme une condition nécessaire à tout djihad, lequel djihad ne peut qu’être spirituel pour Cheikh Ahmadou Bamba : « Vous m’avez fait sortir de ma demeure au motif que je suis l’adorateur de Dieu et que je mène le jihâd. Vous dites la vérité, car je suis Son adorateur et le serviteur de l’adorateur de Dieu, Lui qui rend grâce.Moi, je mène le jihâd par les sciences et la piété, étant un adorateur de Dieu au service du Prophète ; et Dieu le Maître Absolu en est témoin1 ». C’est en raison de cette aspiration à un djihad purement spirituel que Borom Touba pouvait ainsi prier pour ses coreligionnaires mais aussi pour l’humanité toute entière : « Protège les musulmans de tout mal et aie pitié de tous les êtres humains, Ô Toi qui as créé leur ancêtre2 ». Si seulement les mouvements djihadistes entendaient l’appel de Serigne Touba.
Comment, vu tout ce qui vient d’être développé, vouloir réduire l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba à une seule vision confrérique ? Tant pis si je choque. Mais à supposer que Serigne Touba ait été un Mouride dans le sens confrérique du terme, ce dont je doute, son œuvre n’appartient ni à Touba ni aux seuls Mourides. L’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba est un patrimoine civilisationnel qui doit être valorisée par tous. Mais pour y parvenir, les Sénégalais, surtout membres des confréries, doivent changer de paradigme, faire un vrai travail de déconfrérisation des œuvres de toutes les figures religieuses du Pays. Mon maître Seydi Elhadji Malick, Mame Borom Touba, Cheikh Abdoulaye Niasse, Seydina Limamou Laye, Mame Baye Niasse, etc, nous appartiennent à tous.
Bon Magal
Dr Seydi Diamil Niane,
Auteur et chercheur à Timbuktu Institute
Secrétaire permanent du Cadre Unitaire de l’islam au Sénégal
En tant que Tidjane, j’ai eu à me plonger, par pure curiosité intellectuelle, dans l’œuvre poétique de Cheikh Ahmadou Bamba. Quelle fut grande ma surprise de voir les nombreuses ressemblances, en termes de thématiques mais aussi d’orientation poétique, avec l’œuvre de Seydi Elhadji Malick Sy que je connais un peu mieux. Fier et joyeux, je découvris que, avant Aimé Césaire, Mame Bamba défendait la dignité de la peau noire ; avant Ghandi, l’homme de Touba prêchait la paix et la non-violence. Paix et non-violence, le monde en a plus que jamais besoin.
Nous sommes dans un moment où l’extrémisme religieux se développe telle une peste aux ambitions génocidaires. Les populismes vainquent partout. L’altérité est de plus en plus sacrifiée. La violence devient la norme.
Dans ce contexte, tout discours ou enseignement en mesure d’éveiller les consciences sur l’exigence et l’urgence d’une paix durable, d’appeler à redonner à l’Homme sa dignité aujourd’hui bafouée, doit être mobilisée et arrachée de tout esprit sectaire. En ce sens, l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba doit être replacée dans sa vocation civilisationnelle qu’aucune confrérie ne devrait monopoliser.
Oui. Parce que Borom Touba pensait à l’Homme tout d’abord en tant que réceptacle du souffle divin et qui, par conséquent, doit être chanté, respecté et glorifié pour une parfaite réhabilitation de l’altérité : « Respecte en toute créature les Droits de Dieu, par considération pour son Créateur. » C’est Cheikh Ahmadou Bamba qui parle et qui, ailleurs, implore Dieu : «Ô Seigneur de l’univers, accorde Ta miséricorde à l’ensemble des créatures, ô Toi qui peux diriger les égarés ».
Les risques de fracture, dans un pays comme le Sénégal, marqué par un pluralisme d’offres idéologiques et mystiques, peut aussi venir de l’intérieur même de la religion dominante qu’est l’islam. Si le Tidjane pense avoir le monopole de la Vérité, que le Layène conteste cette vision qui ne sera certainement pas partagée par un Qadir ou encore un salafiste, l’adversité pourrait menacer toute aspiration à un bon vivre-ensemble. C’est justement pour contourner cette menace que Cheikh Ahmadou Bamba exhortait : « Ne soyez jamais hostile à celui qui prononce «Lâ ilâha illa-l lâh (il n’y a de divinité si ce n’est Dieu) ».
Comment ne pas être séduit, quelle que soit notre religion, appartenance confrérique ou orientation idéologique, par ces vers de Cheikh Ahmadou Bamba en faveur du pardon ? « J'ai pardonné à tous mes ennemis pour l’amour du Seigneur qui les a écartés de moi à jamais. Aussi ne songe-je nullement à me venger » ; « Ô Seigneur, à quiconque m’aura injustement blâmé ou offensé, accorde Ton Pardon » ; « Si je n’avais pas abandonné l’écriture en jihad contre les oppresseurs, la peste aurait tué tous les dénégateurs à moins qu’ils sollicitent le pardon du Tout-Pardonneur. Cependant, j’ai pardonné à tous les hommes, pour la face de Dieu. »
Le pardon est ainsi vu comme une condition nécessaire à tout djihad, lequel djihad ne peut qu’être spirituel pour Cheikh Ahmadou Bamba : « Vous m’avez fait sortir de ma demeure au motif que je suis l’adorateur de Dieu et que je mène le jihâd. Vous dites la vérité, car je suis Son adorateur et le serviteur de l’adorateur de Dieu, Lui qui rend grâce.Moi, je mène le jihâd par les sciences et la piété, étant un adorateur de Dieu au service du Prophète ; et Dieu le Maître Absolu en est témoin1 ». C’est en raison de cette aspiration à un djihad purement spirituel que Borom Touba pouvait ainsi prier pour ses coreligionnaires mais aussi pour l’humanité toute entière : « Protège les musulmans de tout mal et aie pitié de tous les êtres humains, Ô Toi qui as créé leur ancêtre2 ». Si seulement les mouvements djihadistes entendaient l’appel de Serigne Touba.
Comment, vu tout ce qui vient d’être développé, vouloir réduire l’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba à une seule vision confrérique ? Tant pis si je choque. Mais à supposer que Serigne Touba ait été un Mouride dans le sens confrérique du terme, ce dont je doute, son œuvre n’appartient ni à Touba ni aux seuls Mourides. L’œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba est un patrimoine civilisationnel qui doit être valorisée par tous. Mais pour y parvenir, les Sénégalais, surtout membres des confréries, doivent changer de paradigme, faire un vrai travail de déconfrérisation des œuvres de toutes les figures religieuses du Pays. Mon maître Seydi Elhadji Malick, Mame Borom Touba, Cheikh Abdoulaye Niasse, Seydina Limamou Laye, Mame Baye Niasse, etc, nous appartiennent à tous.
Bon Magal
Dr Seydi Diamil Niane,
Auteur et chercheur à Timbuktu Institute
Secrétaire permanent du Cadre Unitaire de l’islam au Sénégal
Enregistrer un commentaire