A l’occasion du passionnant et riche dรฉbat sur la nature et l’histoire du Wird mouride, dans le landerneau intellectuel mouride, nous vous proposons les passages suivants, extraits de notre essai « ๐พโ๐๐๐๐, ๐๐ ๐ฃ๐๐ ๐๐๐ ๐๐๐๐๐ก๐๐๐ข๐ ๐๐ ๐ถโ๐๐๐โ ๐ด. ๐ต๐๐๐๐ » (Editions Majalis, 2011, pp. 41-45), qui portaient sur la problรฉmatique du statut confrรฉrique ou non du Mouridisme. Passages dans lesquels nous abordions notre conception, il est vrai, assez dรฉcalรฉe par rapport au dรฉbat actuel, de la vรฉritable place et du sens de ce Wird dans la doctrine et l’approche du Serviteur du Prophรจte (PSL) dont la vision nous semblait dรฉpasser (sans la renier) celle d’une « confrรฉrie », au sens traditionnel et classique du terme. Conformรฉment ร ses cรฉlรจbres propos, relatรฉs par son troisiรจme Khalife, Cheikh A. Ahad Mbackรฉ : « ๐ธ๐ ๐๐́๐๐๐๐ก๐́, ๐๐ ๐’๐๐ ๐๐๐๐๐ก ๐๐๐๐๐́ ๐ข๐๐ ๐๐๐๐๐๐́๐๐๐ (๐ก๐๐๐̂๐๐). ๐ฝ’๐๐ ๐๐๐ข๐ก๐̂๐ก ๐ก๐๐๐ข๐ฃ๐́ ๐๐๐́๐ก๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐ ๐๐ข’๐๐ฃ๐๐๐๐๐ก ๐ ๐ข๐๐ฃ๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐โ๐̀๐ก๐ (๐๐๐ฟ) ๐๐ก ๐ ๐๐ ๐ถ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ . ๐ฝ๐ ๐’๐๐ ๐๐๐ก๐๐̀๐๐๐๐๐๐ก ๐๐́๐๐๐๐โ๐́๐ ๐๐ก ๐’๐๐ ๐๐́๐๐๐ฃ๐́๐ ๐๐๐๐ ๐ก๐๐ข๐ก๐ ๐ ๐๐ ๐๐ข๐กโ๐๐๐ก๐๐๐๐ก๐́ [๐๐๐ข๐ ๐๐ ๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐ข๐ฃ๐๐๐ข ๐๐๐๐ก๐๐๐๐๐๐]. ๐ฝ’๐๐ ๐๐๐ ๐ข๐๐ก๐ ๐๐๐๐๐́ ๐’๐๐๐๐๐ ๐ ๐ข๐๐ฃ๐๐๐ก : « ๐๐๐ข๐ก ๐ฃ๐๐ฆ๐๐๐๐ข๐ ๐๐ข๐ ๐๐ ๐๐๐๐ ๐ ๐ ๐๐๐๐๐๐๐ [๐ฃ๐๐๐ ๐’๐ด๐๐๐́๐๐๐๐ก ๐๐ ๐ท๐๐๐ข] ๐๐๐ข๐ก ๐๐́๐ ๐๐๐๐๐๐ ๐โ๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐ข๐ ๐๐๐ก๐ก๐ ๐๐๐๐ ๐๐́โ๐๐๐๐๐๐ก๐́๐ ๐๐๐๐ก ๐๐ ๐๐๐๐ ๐๐ ๐ก ๐๐ ๐๐๐๐ก๐ ๐'๐๐๐๐́๐๐๐๐๐๐ (๐๐๐ฆ’๐). » »
* * * * *
L’on ne peut prรฉtendre, ร notre avis, analyser finement la doctrine du Mouridisme, si l’on n’รฉtudie pas d’abord celle de l’Islam. Car, il faut le savoir, dans la perspective de Cheikh A. Bamba, le « Mouridisme » n’existe pas en tant que tel : ce qui existe ce sont l’Islam et les Musulmans. Ce qu’on appelle « Mouridisme » n’est rien d’autre ร ses yeux que l’๐๐ฝ๐ฝ๐ฒ๐น ๐จ๐ป๐ถ๐๐ฒ๐ฟ๐๐ฒ๐น qu’il reรงut l’ordre de proclamer pour convier tous les รชtres humains, sans coordonnรฉes raciales ou ethniques, ร ranimer la flamme de l’Islam Eternel et ร รฉlever trรจs haut et pour toujours le flambeau du message prophรฉtique : « ๐ด ๐ก๐๐๐ฃ๐๐๐ ๐ก๐๐, [๐̂ ๐๐๐๐โ๐̀๐ก๐ !], ๐๐ ๐๐๐๐ฃ๐๐ ๐ก๐๐ข๐ก๐๐ ๐๐๐ ๐๐๐๐ก๐๐́๐๐ ๐ฃ๐๐๐ ๐ท๐๐๐ข ๐̀ ๐๐ข๐ ๐๐๐๐๐๐ก๐๐๐๐ก ๐’๐๐๐ ๐๐๐๐๐ ๐๐๐ ๐ ๐๐๐ฃ๐๐ก๐๐ข๐๐ ๐๐ก ๐๐ข๐ ๐๐́๐๐̀๐๐ ๐ก๐๐ข๐ก ๐๐ ๐ ๐๐ (...) ๐̂ ๐๐๐ข๐๐๐๐ ๐๐๐ ๐ก๐๐๐๐๐ ๐๐ก ๐๐๐ ๐๐๐๐ ! ๐ด๐๐๐๐ข๐๐๐ง ๐ ๐๐๐ ๐ก๐๐๐๐๐ ๐ฃ๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐ก๐ข๐๐ข๐ฅ [๐๐๐ ๐ ๐๐๐๐], โ๐̂๐ก๐๐ง-๐ฃ๐๐ข๐ ๐ก๐๐ข๐ ๐ฃ๐๐๐ ๐๐๐ก ๐๐๐́๐๐ ๐๐ ๐บ๐́๐๐́๐๐๐ ๐๐ก๐́ ! » (Mawรขhibu Nรขfih, v. 58, 101). Raison pour laquelle il est pratiquement impossible de trouver le mot « ๐๐๐ข๐๐๐๐๐ฆ๐ » (confrรฉrie mouride ou Mouridisme) dans aucun vers parmi les centaines de milliers qu’il eut ร composer tout au long de sa vie… Aussi n’a-t-il jamais, non plus, usรฉ une seul fois, ร notre connaissance, du qualificatif officiel unanimement employรฉ pour le dรฉsigner de « Fondateur du Mouridisme » (๐๐ข๐’๐ ๐๐ ๐ข๐ ๐๐๐๐̂๐๐๐ก๐ข๐ ๐๐ข๐๐๐๐๐ฆ๐ฆ๐), ni dans ses รฉcrits ni dans ses missives officielles. Il a toujours prรฉfรฉrรฉ utiliser, en lieu et place, pour s’identifier, aussi bien dans ses poรจmes que dans ses nombreuses correspondances, l’appellation d’« Esclave de Dieu et Serviteur du Prophรจte » (๐ด๐๐๐ข๐ ๐ฟ๐̂โ๐ ๐ค๐ ๐พโ๐๐๐̂๐๐ข ๐
๐๐ ๐ข̂๐๐โ๐). Dรฉtails dont il nous a toujours semblรฉ assez paradoxal qu’aucun chercheur, ร notre connaissance, n’en ait fait jusqu’ici la remarque, tant le fait nous paraรฎt significatif et trop รฉvident…
Le terme « mouridisme » mรชme (forgรฉ en rรฉalitรฉ par l’administrateur colonial Paul Marty, avec une acception primitive, ma foi, fort douteuse) n’est ainsi rien de plus pour Cheikh A. Bamba qu’un substitut conceptuel utilisรฉ pour dรฉcrire l’ลuvre de ๐๐́โ๐๐๐๐๐๐ก๐๐ก๐๐๐ et de ๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐๐๐๐ des valeurs fondamentales de l’Islam ร laquelle il s’รฉtait consacrรฉ. Le Mouridisme n’est donc nullement pour lui une « confrรฉrie », au sens doctrinal et รฉtymologique du terme ou un « Ordre » classique (car il affirmait mรชme avoir hรฉritรฉ de toutes les voies spirituelles antรฉrieures et du flambeau de l’Islam durant son exil), ni, ร fortiori, une « secte » ou un « syncrรฉtisme » douteux, mais simplement la forme qu’ont prise les enseignements du Prophรจte, actualisรฉs et revivifiรฉs dans un contexte spatio-temporel particulier. Mรชme si, par ailleurs, les configurations sociologiques et les mรฉthodes d’organisation sociales de la ๐๐๐๐๐ข๐๐๐ข๐ก๐́ โ๐ข๐๐๐๐๐ primitivement chargรฉe de matรฉrialiser cette vision idรฉologique peuvent rรฉpondre ร certaines catรฉgorisations sociologiques classiques et lรฉgitimes. C’est notamment cette mission de Renaissance musulmane (๐ผโ๐ฆ๐̂), de Renouveau cultuel et culturel (๐๐๐๐๐̂๐), dans un contexte sensible de mise en pรฉril des valeurs et principes fondamentaux de l’Islam, qui fit รฉcrire ร Cheikh A. Bamba ses vers fort cรฉlรจbres : « ๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐๐๐๐ก๐๐๐ ๐๐ ๐ก ๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐ข๐๐ ๐๐๐๐๐๐ก๐๐๐ (๐๐ข๐๐๐) ๐๐ข ๐๐๐๐โ๐̀๐ก๐ ๐́๐๐ข, ๐๐ ๐๐ ๐๐ข๐๐๐๐ก๐́ ๐๐ ๐ ๐๐๐ฃ๐๐ก๐๐ข๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐๐๐ก [๐̀ ๐ท๐๐๐ข] », « ๐๐ข๐๐๐ ๐๐ข๐ก๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐, ๐๐ ๐๐โ๐๐๐ ๐๐ ๐’๐ผ๐ ๐๐๐, ๐’๐́๐ก๐๐๐ก ๐๐๐๐́๐́๐ ๐๐ข๐๐๐̀๐ ๐๐ ๐ท๐๐๐ข, ๐’๐๐ ๐ก ๐๐๐๐๐-๐๐ ๐๐ข๐ ๐๐ ๐๐๐๐๐ก๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐ », « [๐ ๐๐๐๐๐๐๐ข๐ !] ๐ท๐ ๐๐๐ ๐๐ ๐ฟ๐๐๐๐๐ ๐ ๐ ๐ผ๐๐๐๐๐๐, ๐๐ข๐๐ ๐ ๐๐ -๐๐ข ๐๐๐๐๐ข๐๐๐ ๐́๐ก๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ ๐๐ ๐๐๐ฃ๐๐ข๐, ๐๐๐๐ ๐๐ข๐ ๐๐ ๐๐ข๐๐ ๐ ๐ ๐๐́๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐ ๐
๐๐๐๐๐๐๐ » (Walaqad Karamnรข, v. 6), « ๐ ๐๐๐๐๐๐๐ข๐ ! ๐น๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐ ๐๐ ๐น๐́๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐๐๐ก๐๐๐ (๐๐ข๐๐๐) ๐๐ข ๐๐๐๐โ๐̀๐ก๐ ๐๐๐๐ ๐ ๐ ๐๐ข๐๐๐ก๐́ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ก ๐๐๐๐ข๐ ๐̀ ๐ก๐๐๐ฃ๐๐๐ ๐๐ข๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ ๐ฃ๐́๐๐๐ก๐́, ๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐ข๐ฅ ๐๐ก ๐๐ ๐ ๐๐๐๐ ๐ ๐. ». Engagements qu’ont confirmรฉs une multitude d’autres vers et d’actes posรฉs tout le long de son ลuvre.
(…) Nous avons, lors du Magal 2009, prรฉsentรฉ un exposรฉ sur cette thรฉmatique de la « fiction confrรฉrique » du terme « Mouridisme », rรฉhabilitรฉ, non pas pour reflรฉter une quelconque option doctrinale de nature « confrรฉriste » de Cheikh A. Bamba, mais plutรดt pour dรฉcrire les formes sociologiques, organisationnelles et culturelles prises par la matรฉrialisation par ses disciples de cette vision idรฉologique. Cet exposรฉ (disponible sur Majalis en version vidรฉo et en wolof) reprenait en fait un chapitre de notre ouvrage prรฉcitรฉ oรน nous avions tentรฉ d’argumenter notre thรฉorie par d’autres รฉlรฉments et indices tirรฉs de l’ลuvre de Bamba que la recherche existante semblait presque totalement รฉluder. Ainsi, si l’on nous objectait, par exemple, comme d’aucuns l’ont dรฉjร fait, qu’il n’est pas nรฉcessaire qu’un maรฎtre soufi fasse explicitement allusion au nom de la confrรฉrie qu’il a fondรฉe pour lui en attribuer la paternitรฉ (comme c’est le cas des grandes confrรฉries antรฉrieures), nous rappellerons que le cas de Cheikh A. Bamba se distingue de beaucoup de ses prรฉdรฉcesseurs du fait de son inhabituelle profusion littรฉraire et de l’importance singuliรจre qu’il accordait ร ses รฉcrits qui ne pouvaient raisonnablement, ร notre avis, nรฉgliger un dรฉtail aussi essentiel. Quant au mot « mouride », qu’il a toujours utilisรฉ et d’oรน origine le terme « Mouridiya » (forgรฉ sur le mรชme moule sรฉmantique arabe que celui des confrรฉries antรฉrieures), il est facile de prouver qu’il l’employait, surtout ร ses dรฉbuts, avec le sens de « disciple » ou « รฉlรจve », ร l’instar des grands maรฎtres soufis l’ayant prรฉcรฉdรฉ, toutes tendances et confrรฉries confondues, qui avaient inventรฉ et qui utilisaient bien avant lui ce terme hiรฉrarchique soufi (signifiant « novice », « grand dรฉbutant sur la Voie», « aspirant ร Dieu »). Sachant qu’il lui prรฉfรฉrait en gรฉnรฉral le terme « mรปminรปn » (croyants) et « muslimรปn » (musulmans) dans ses nombreuses priรจres et orientations. Pour faire rรฉfรฉrence ร la communautรฉ d’adeptes et de parents s’รฉtant directement attachรฉs ร lui, il employait le plus souvent, en plus de « mourides », les expressions « ceux qui se sont attachรฉs ร moi » (๐๐๐ง๐̂๐๐ ๐ก๐๐๐๐๐๐๐ข ๐๐๐ฆ๐), « les miens » (๐โ๐๐̂), « ma communautรฉ » ou « mon peuple » (๐๐๐ค๐๐̂), « mon entourage » (๐๐ข๐๐๐๐ก๐̂), « mon voisinage » (๐๐̂๐๐๐๐̂) etc., mais jamais « ๐ก๐๐๐̂๐๐๐ก๐̂ » (ma confrรฉrie). D’ailleurs cette nรฉcessaire distinction faite entre l’entourage immรฉdiat et l’environnement plus รฉloignรฉ dรฉcoule de l’esprit et de la mรชme logique qui obligeaient, par exemple, les Prophรจtes ร s’adresser d’abord ร leurs propres peuples (๐๐๐ค๐), ร leurs proches (๐๐๐๐๐๐ข̂๐), ร leurs clans et leurs familles (๐โ๐ ๐๐๐ฆ๐ก), avant d’รฉtendre leurs messages vers d’autres horizons plus รฉloignรฉs.
Quant ร l’argument quelques fois invoquรฉ de l’existence avรฉrรฉe d’un wird mouride qui, en thรฉorie, en fait une confrรฉrie comme les autres, il nous semble assez relativisable, surtout ร la lumiรจre d’un certain nombre d’รฉlรฉments symboliques que l’analyse nous a permis de relever. Ainsi, malgrรฉ la grande importance de ce wird dit « ๐๐̂๐โ๐ข̂๐ง ๐๐๐๐ ๐ฟ๐̂โ๐ ๐๐ ๐ค๐̂๐ ๐๐ก๐๐ก๐ ๐
๐๐ ๐ข̂๐๐โ๐ » (Wird transmis, en provenance de Dieu, par l’intermรฉdiaire du Prophรจte), Cheikh A. Bamba n’a jamais semblรฉ, ร notre connaissance, bien qu’il leur ait indiquรฉ sa grande valeur, avoir particuliรจrement insistรฉ sur une obligation absolue faite ร tous ses disciples de l’utiliser quotidiennement, au point d’en faire une condition nรฉcessaire ร son affiliation. Du moins autant qu’il a expressรฉment et trรจs frรฉquemment insistรฉ sur la valeur de la lecture du Coran et de ses qasidas (qu’il a mรชme affirmรฉes รชtre supรฉrieures ร tout autre รฉcrit auprรจs de Dieu, aprรจs le Coran et les traditions du Prophรจte) ; raison pour laquelle, vraisemblablement, les mourides ne lui ont pas donnรฉ la mรชme importance que le Coran et les qasidas dont la lecture quotidienne et ร toute occasion semble d’ailleurs indiquer, ร nos yeux, que ces derniers constituent le wird de facto (plus qu’un simple โ๐๐ง๐) des mourides (cette lecture du Coran faisant d’ailleurs partie, en outre, des conditions explicites du wird ๐๐๐โ๐ข̂๐ง).
D’autre part, certains symboles hagiographiques rattachรฉs ร la transmission de ce wird ๐๐๐โ๐ข̂๐ง ร Cheikh A. Bamba semblent, ร notre avis, suggรฉrer qu’ร ses yeux ce wird รฉtait plus une des ๐๐́๐ก๐๐๐๐ข๐ก๐๐๐๐ insignes (๐๐๐ง๐̂) que le Gracieux Seigneur lui avait accordรฉe pour le prix de son incomparable Khidma en faveur du Prophรจte (qui avait promis de le gratifier de toutes les faveurs dont ses prรฉdรฉcesseurs avait bรฉnรฉficiรฉ), et non un wird classique ou « confrรฉrique » en tant que tel (bien que cette remarque puisse, il est vrai, รชtre reconduite pour les wirds antรฉrieurs, bien avant la socialisation de leur usage). En effet, l’on sait que, historiquement, ce wird a รฉtรฉ transmis au Cheikh par le Prophรจte « ร l’รฉtat de veille », lors de son second exil en Mauritanie, plus prรฉcisรฉment durant son sรฉjour dans la localitรฉ de Sarsara, une nuit de Laylatul Qadr (selon certaines sources) de l’an 1322 H. (1904). Il faut d’abord se souvenir que ce second exil, dans la perspective spirituelle du Serviteur du Prophรจte, n’avait pas la mรชme signification mystique que celui du Gabon, dans la mesure oรน il affirmait lui-mรชme : « ๐๐ข๐๐๐๐๐๐ข๐ ๐๐ ๐ ๐๐๐๐๐ ๐๐๐ ๐ฃ๐๐ฆ๐๐๐ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐ ๐๐ ๐’๐๐ 1321 [๐๐ ๐๐๐ข๐๐๐ก๐๐๐๐] ๐̀ ๐๐๐ ๐ฃ๐๐ฆ๐๐๐ ๐๐ข ๐๐́๐๐ข๐ก ๐๐ 1313 [๐๐ข ๐บ๐๐๐๐] ๐๐ ๐ก ๐๐๐๐๐๐๐๐ก, ๐๐๐ ๐๐ ๐ ๐๐๐๐๐ ๐ฃ๐๐ฆ๐๐๐ ๐๐ ๐ก ๐ข๐๐ ๐́๐๐๐๐ข๐ฃ๐ ๐๐ข ๐๐๐๐๐๐๐ข๐ ๐๐๐̀๐ ๐ป๐๐ข๐ก. ๐ด๐๐๐๐ ๐๐ข๐ ๐๐ ๐ฃ๐๐ฆ๐๐๐-๐๐ ๐’๐๐ ๐ก ๐๐ข’๐ข๐๐ ๐น๐́๐๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐ก ๐๐ข ๐๐๐๐๐๐๐ข๐ ๐๐ข๐ ๐ ๐๐ฅ๐๐ข๐๐́ ๐๐ ๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐ฃ๐๐ข๐.» De plus, on peut aussi le noter, l’annรฉe oรน il reรงoit ce wird, 1322 H. (1904), correspond ร une station particuliรจre de sa biographie, car constituant un jalon important de son itinรฉraire mystique qu’il dรฉnomma d’ailleurs, dans ses รฉcrits, « ๐ป๐̂๐๐ ๐ โ๐โ๐๐๐๐̂ ๐๐๐ ๐๐๐๐๐ (โ๐̂๐๐ ๐๐๐๐ ๐๐ โ๐๐) » (L’annรฉe oรน nous attestons avoir bรฉnรฉficiรฉ de l’๐๐จ๐ง๐จ๐ซ๐๐๐ข๐ฅ๐ข๐ญ๐́ ๐๐ข๐ฏ๐ข๐ง๐) ; annรฉe ร partir de laquelle tous ses รฉcrits รฉtaient spirituellement supรฉrieurs, d’aprรจs ce qu’il nous en dit lui-mรชme (Cf. Majmรปha), ร tout autre รฉcrit ร part le Coran et les hadiths. Parallรจlement, le fort symbolisme (bien qu’ร priori assez subtil) des autres รฉlรฉments calendaires de la rรฉception du wird Mรขkhรปz nous semble aller dans le sens de la confirmation de l’hypothรจse de la Rรฉtribution-Honneur (jazรข wal karam), bien que relativisable sous certains aspects. En effet, en plus de cette annรฉe charniรจre de 1322, le mois de sa rรฉception (Ramadan) est reconnu en Islam pour รชtre le plus honorable de l’annรฉe, car รฉtant celui de la rรฉvรฉlation du Coran (2:185) et celui au cours duquel les ลuvres pies sont les mieux rรฉtribuรฉes. Il est รฉgalement connu que la semaine la plus valorisรฉe dans l’Islam se trouve dans ce mois sacrรฉ et correspond ร ses dix derniers jours (que le Prophรจte avait d’ailleurs l’usage de passer en I’tikรขf ou retraite spirituelle dans sa mosquรฉe, une pratique devenue traditionnelle en Islam, pour ceux qui le peuvent). Dรฉcade oรน l’on a l’usage de dรฉterminer, par convention, la meilleure nuit du mois (parmi les derniers jours impairs) et de l’annรฉe, appelรฉe « Laylatul Qadr » (Nuit de la Destinรฉe) dont la rรฉtribution est supรฉrieure ร mille mois d’adoration ininterrompue, selon le Coran (sourate 97). En effet, ce jour spรฉcial est recherchรฉ dans cette dรฉcade selon diffรฉrentes mรฉthodes (le Prophรจte ne lui ayant pas attribuรฉ, de faรงon explicite, une date exacte et dรฉfinitive, se contentant de fournir juste quelques indices), comme celle utilisรฉe par certains maรฎtres soufis (dont apparemment Cheikh A. Bamba, mรฉthode ร laquelle les mourides se sont tenus jusqu’ร nos jours, bien qu’il existe une divergence en la matiรจre) qui consiste ร la fixer parmi les nuits impaires coรฏncidant ร celles du jeudi au vendredi (appelรฉe Laylatul Jumu’a ou « guddi ajuma » en wolof), du fait probablement de la prรฉcellence spirituelle accordรฉe ร cette nuit parmi les autres nuits de la semaine (bien que, en thรฉorie, rien ne prouve que le Cheikh n’ait pas pu cรฉlรฉbrer le Laylatul Qadr en Mauritanie en une autre nuit, sachant toutefois qu’il a semblรฉ privilรฉgier cette mรฉthode, notamment dans un poรจme oรน il dรฉcrit ce systรจme qu’il a pu trouver dans l’ouvrage Qรปt-ul-Qulรปb de Al Makki). Et c’est prรฉcisรฉment en cette nuit particuliรจre de Laylatul Jumu’a, correspondant ร celle de Laylatul Qadr, de la meilleure dรฉcade de l’annรฉe, du meilleur mois de l’annรฉe, cette annรฉe spรฉciale, qu’il dรฉcrivit comme celle de l’Honorabilitรฉ, au cours de l’exil dit de la Rรฉtribution, que Cheikh A. Bamba affirme avoir reรงu le wird Mรขkhรปz (qu’il remit ensuite, selon l’hagiographie, ร un disciple maure dรฉnommรฉ Ahmad Ould Hasan Ould Hamรขdi)…
D’autre part, en plus de ces รฉlรฉments symboliques ou hagiographiques, l’on peut dire que l’approche rรฉnovatrice que Cheikh A. Bamba, dans le cadre de son Tajdรฎd (renouveau), avait du wird et des autres pratiques et notions soufies contribuait ร « dรฉsectoriser » le wird et ร lui restituer sa signification spirituelle originelle et รฉtymologique qui n’รฉtait rien d’autre qu’un ensemble de litanies diverses, de versets du Coran et de pratiques cultuelles profitables (transmis par le Prophรจte) qu’un grand maรฎtre prescrivait quotidiennement ร ses disciples pour mieux les astreindre ร l’adoration de Dieu, purifier leur cลur et mieux rentabiliser leur temps. Comme il le rappelle d’ailleurs dans Masรขlik : « ๐ฟ๐ ๐๐́๐๐๐๐๐ก๐๐๐ ๐๐ข ๐ค๐๐๐ ๐๐๐๐ ๐๐ ๐ก๐ ๐๐ « ๐ข๐ ๐๐๐ก๐ ๐๐ข๐๐ก๐ข๐๐ ๐๐́๐๐ข๐๐๐̀๐๐๐๐๐๐ก ๐๐๐๐๐๐๐๐ ๐̀ ๐ข๐ ๐๐๐๐๐๐ก ๐๐́๐ก๐๐๐๐๐๐́ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐ข๐๐๐́๐ ». ๐๐๐ ๐́๐ก๐ฆ๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐ก ๐๐๐́๐ ๐̀ ๐๐ ๐ก๐๐๐๐๐ก๐๐๐ ๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐ ๐๐ ๐ ’๐๐๐๐̂๐ก๐๐ ๐๐́๐๐ข๐๐๐̀๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ข๐ฅ ๐๐๐๐๐ก๐ ๐’๐๐๐ข [๐ ๐ ๐ก๐๐๐ข๐ฃ๐๐๐ก ๐ ๐ข๐ ๐๐๐ข๐ ๐๐ก๐๐๐́๐๐๐๐๐] ๐๐๐ข๐ ๐ ’๐ฆ ๐๐๐ฃ๐๐ก๐๐๐๐๐๐.» (v. 269-270) C’est ainsi qu’aprรจs avoir utilisรฉ durant plusieurs annรฉes et magnifiรฉ tous les wirds en usage dans son milieu (tidiane, khadre et shรขdili), le Cheikh fit finalement du Coran son wird personnel, y forma ses disciples, en plus de la lecture assidue des qasidas qu’il compilaient ร partir des mรชmes substrats coraniques (qui reprรฉsentaient, sous cet angle, une forme de Tajdรฎd des wirds classiques) ; celles-ci, en plus de leurs spรฉcificitรฉs propres, constituant un condensรฉ de toutes les formules d’invocation et de dhikr agrรฉรฉes en Islam (tahlรฎl, hawqalah, hamdallah, takbรฎr, adhbalah, istikhfรขr, salรขt alรข Nabรฎ etc.) Cette vision tend mรชme, dans un sens, ร recadrer l’importance des wirds dans une perspective beaucoup plus vaste qui, toutefois, ne saurait point les placer au-dessus de la lecture proprement dite du Coran, conformรฉment ร certaines tendances soufies non รฉclairรฉes que le Cheikh dรฉnonรงa d’ailleurs : « ๐ถ๐๐๐ก๐๐๐๐ ๐๐ข๐ ๐ ๐ ๐๐๐́๐ก๐๐๐๐๐๐ก ๐ ๐๐ข๐๐๐ ๐ ๐๐ข๐ก๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ข๐ ๐๐๐ ๐๐๐๐ก๐๐๐ข๐๐ ๐๐ข๐๐ก๐ข๐๐๐๐๐ ๐๐ข๐ฅ๐๐ข๐๐๐๐๐ ๐๐๐ ๐ ๐ ๐๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐ก ๐ ๐๐๐ก ๐๐๐ข๐ ๐๐́๐๐๐ก๐๐๐๐๐ ๐๐ข๐ ๐๐ ๐๐๐๐ก๐ข๐๐ ๐๐ข ๐ถ๐๐๐๐ [๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐ข๐ ๐๐๐๐ข๐๐๐๐ ๐๐๐ ๐๐́๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐๐๐๐-๐๐]. ๐๐๐โ๐ ๐๐ข’๐ข๐๐ ๐ก๐๐๐๐ ๐๐๐๐́๐๐๐ก๐๐๐ ๐๐ ๐ก ๐ ๐๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ก ๐ก๐๐ข๐ก ๐̀ ๐๐๐๐ก ๐๐๐๐๐๐́๐, ๐๐ก ๐๐ข๐ ๐๐๐ก๐๐ ๐ ๐́๐๐๐๐́ ๐๐๐ ๐๐๐๐ . ๐ด๐ข ๐๐๐๐ก๐๐๐๐๐, ๐๐๐๐ ๐́๐ฃ๐̀๐๐ ๐̀ ๐ก๐ ๐๐๐๐๐๐๐โ๐๐ ๐๐ ๐ท๐๐๐ข ๐̀ ๐ก๐๐๐ฃ๐๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐ก๐ข๐๐ ๐๐ข ๐๐๐๐๐ก ๐ฟ๐๐ฃ๐๐, ๐๐๐ ๐๐ ๐ถ๐๐๐๐ ๐๐๐๐ ๐ก๐๐ก๐ข๐ ๐๐ ๐๐๐๐๐๐๐๐๐ก ๐๐ ๐ก๐๐ข๐ก๐ ๐๐๐๐๐๐๐ ๐ ๐๐๐๐ ๐ฃ๐́๐๐๐ก๐๐๐๐ ๐๐ ๐๐ ๐๐๐๐๐.» (Masรขlik, v. 532-534). En ce sens, une question intรฉressante que permet de rรฉsoudre cette analyse sur la « dรฉbalkanisation » du wird, dans la dรฉmarche de Cheikh A. Bamba, est celle-ci : comment se fait-il que l’on ait pu parler de « confrรฉrie mouride » dans la pรฉriode situรฉe entre 1301 et 1322 H. (1883-1904) alors qu’il n’existait pas encore de wird dans cette tarรฎqa durant ladite pรฉriode (qui ,il faut le rappeler, couvre plus de vingt ans) et que le seul critรจre d’adhรฉsion ร cette voie fut et demeura le pacte d’allรฉgeance ร son fondateur ou ร un de ses reprรฉsentants ?
Extraits de « Khidma, la vision politique de Cheikh A. Bamba (Essai sur les relations entre les mourides et le pouvoir politique au Sรฉnรฉgal » de A. Aziz Mbackรฉ (Editions Majalis, 2011, pp. 41-45)
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